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Avec L’orma, une nouvelle façon de faire de l’édition a débarqué en France !

Entretien avec Lorenzo Flabbi et Marco Federico Solari autour de ce projet mêlant livres et correspondances

Avec L’orma, une nouvelle façon de faire de l’édition a débarqué en France !

Ouvrez un Pli, offrez des Plis ! Sous l’impulsion créative et inspirée de deux éditeurs en mal de courrier, un projet formidable a vu le jour, avec la création des éditions L’orma qui publient des petits livres griffés vintage qu’on dévore et qu’on offre : les Plis sont à la fois livres et enveloppes.

Les correspondances d’auteurs, d’artistes, de scientifiques sont un plaisir littéraire de gourmet que Lorenzo Flabbi et Marco Federico Solari ont ainsi totalement remis au goût du jour à travers une proposition européenne, originale et pleine de malice.

 

Editer des correspondances en 64 ou 128 pages est une gageure qui impose d’imaginer une ligne éditoriale solide. L’orma a décidé de surprendre son lecteur et de faire découvrir l’auteur, forcément ultra-connu, sous des aspects inhabituels : un Baudelaire dévoré par les questions d’argent, Gramsci tout occupé à transmettre connaissance et goût pour l’apprentissage à ses fils, et la sagesse de Marie Curie, de la tourmente du scandale adultère dans laquelle elle fut plongée au séisme des Nobel. La collection est sortie il y a deux ans, juste au moment du Covid, mais n’a pas ébranlé la détermination de L’orma, une maison qui fête ses dix ans et a installé son siège et son principal terrain de jeu en Italie.
Vingt-six titres plus tard, les deux créateurs de L’orma nous en disent plus, beaucoup plus, sur la manière dont s’élabore une aventure éditoriale aujourd’hui, quand on mène un projet de rêveurs qui embrasse l’Europe avec la clairvoyance de professionnels déterminés.

 

 

- Lorenzo, Marco, dites-nous ce que signifie le nom de votre maison d’édition ?

En italien, l’orma est l’empreinte d’un pied. Suivre l’une d’elles signifie se placer dans le sillon d’une tradition ; pour nous, il s’agit de celui de la littérature de la modernité, disons celle des trois derniers siècles environ. L’orma est la trace que l’on tente de laisser dans un paysage culturel, la marque et le témoignage d’une vision du monde, d’une interprétation.

Le nom de la maison d’édition est aussi la contraction de LORenzo et MArco, les prénoms de ses fondateurs !

 

- L’orma est une maison d’édition européenne arrivée en France à l’automne 2020, racontez-nous son histoire…

L’orma fêtera ses dix ans cette année. Ses deux piliers sont les littératures française et allemande, que nous valorisons et diffusons en Italie. Dans une sorte de mouvement réciproque, nous avons souhaité décliner en France notre collection les « pacchetti », qui a eu un grand succès en Italie.

C’est ainsi que nous avons créé les Plis en France en mars 2020. Tout était prêt, les six premiers titres venaient d’arriver en librairie, et le confinement a commencé. Les librairies ont malheureusement fermé quelques jours avant la date de parution des Plis, de sorte qu’ils n’ont pas eu le temps de rencontrer leur public. On ne pouvait craindre un pire moment pour lancer une collection ! Par chance, les lecteurs et les libraires ont été au rendez-vous, et nous avons à ce jour publié 26 titres !

 

- Lorenzo et Marco, quel est votre rôle à chacun dans cette maison ?

Nous aimons dire que nous sommes un monstre bicéphale. On fait les choses ensemble, même quand on les fait chacun de notre côté ! Chacun de nous s’occupe plus largement de son domaine de prédilection : Marco de la littérature allemande, Lorenzo de la littérature française. Nous sélectionnons les auteurs, en traduisons certains, nous révisons les traductions de nos collaborateurs, en étroite concertation.

 

- Vous êtes nés en Italie (je parle de la maison bien sûr) où vous publiez des livres français et allemands : c’est une ligne éditoriale très marquée. D’où viennent ces choix ?

Nos passions, nos études et notre vie nous ont amenés à vivre et à enseigner en Europe, et notamment en France et en Allemagne. Quand on a décidé de fonder la maison d’édition, on est partis de nos compétences pour contribuer à diffuser la littérature européenne en Italie.

 

- Comment l’idée de vous implanter en France vous est venue et pour quelle stratégie éditoriale ?

Nous nous sentons européens, il nous a donc paru évident de prolonger notre sillon jusqu’à la France. Notre idée est de faire connaître L’orma par le biais de la collection « Les Plis », qui est inédite dans le paysage éditorial français et a une forte identité, ce qui permet de nous repérer facilement. Nous aimerions dans les mois et années à venir faire grandir la maison d’édition française et lancer de nouvelles collections, affaire à suivre… !

 

- Quelles embûches vous attendaient ?

La difficulté principale, que nous ne pouvions absolument pas prévoir, a été la pandémie. Les Plis ne peuvent exister que sous forme papier, car ce sont des objets postaux, aussi bien par leur forme que leur contenu. L’opération de pliage y tient une place centrale, car elle est tout aussi pratique que symbolique. La pandémie a relégué cet aspect physique, tactile, au second plan, parce que les lecteurs n’ont pas pu se rendre en librairie et découvrir les livres, les manipuler, les toucher. Ils ont dû commander les Plis sur Internet, une situation qui a duré des semaines, avant que les librairies ne rouvrent enfin.

Ce rendez-vous manqué pour les lecteurs a aussi été un rendez-vous manqué pour nous, puisque nous n’avons pas pu venir en France, organiser des rencontres, échanger avec les libraires, etc. Tout est devenu beaucoup trop virtuel, alors que la collection est aux antipodes de ça. Pour la distribution-diffusion, nous nous sommes appuyés sur Harmonia Mundi, qui nous a très bien accompagnés dans l’aventure.

 

- Quel accueil avez-vous reçu de la part des libraires ?

Les libraires ont témoigné une véritable curiosité et beaucoup d’enthousiasme. Nous leur devons beaucoup. Ils ont été de précieux soutiens dans la mise en avant des Plis en librairie, qu’ils ont souvent exposé dans le présentoir que nous avons mis à leur disposition, près des caisses ou dans des endroits particuliers, hors des rayons, afin de les rendre plus visibles. Ils ont assisté les lecteurs dans leur découverte de la collection en leur expliquant le projet éditorial, comment plier la jaquette et l’utiliser comme une enveloppe pour expédier le livre. Ils nous ont également soutenu sur les réseaux sociaux, ce qui nous a permis de suivre le lancement des livres, même de loin !

 

- Il y a non seulement un travail de traduction pour les textes mais aussi un changement de paradigme culturel entre l’Italie et la France (des pratiques éditoriales différentes, un marché différent…). Pourriez-vous nous en parler ?

C’est vrai, publier des livres en France ne se limite pas à les traduire en français. Nous avons beaucoup réfléchi à ce qu’impliquait l’introduction de la collection en France, aux attentes des lecteurs, aux contraintes économiques. Nous avons eu l’agréable surprise de constater la vivacité du marché éditorial français. Les Plis ont en effet bénéficié d’un lancement et d’un succès bien meilleur en France qu’en Italie.

Au cours de la traduction, nous avons parfois modifié l’introduction et les apparats critiques afin de les adapter au public français. C’est par exemple le cas pour l’introduction de Verdi : le Pli italien commence en évoquant la présence du compositeur sur les billets de « 1 000 lire », que tous les Italiens connaissent, ce qui n’est évidemment pas le cas en France. Nous avons décidé de publier le Pli de Stefan Zweig, car nous savons le grand amour que les lecteurs français ont envers ce grand sondeur des âmes.

 

- De quoi se compose votre catalogue ?

Notre catalogue italien compte plusieurs collections. Les « Pacchetti », nous l’avons dit, la Kreuzville (néologisme inventé à partir du nom des quartiers où nous avons vécu, Kreuzville à Berlin et Belleville à Paris) et la Kreuzville Aleph, consacrées à la fiction. Notre auteur français phare est Annie Ernaux, dont nous avons publié une dizaine de livres. Citons aussi Julien Gracq, Marcel Aymé, Bernard Quiriny et, parmi les derniers auteurs qui ont fait leur entrée dans notre catalogue, Emmanuelle Pagano, Vincent Message et Anne Pauly.

Côté allemand, nous avons entre autres publié Bertolt Brecht, Irmgard Keun, Anna Seghers, Alexander Kluge et E.T.A. Hoffmann, à qui une collection est dédiée. Et nous ferons paraître prochainement des contes inédits d’un des frères Grimm.

 

- Comment est née l’idée de la collection Les Plis ?

L’idée nous est venue quand nous vivions à Berlin. Lassés de ne recevoir dans notre boîte aux lettres que des factures énergétiques et des contraventions de stationnement (se garer à Berlin est apparemment très compliqué…), nous avons pensé : « Comme ce serait bien de recevoir de belles lettres par la poste ! » Nous avons alors imaginé un livre « postal, qui permettrait d’écrire à un ou une amie, en lui offrant au passage des lettres choisies de grandes figures de la littérature, de la science, de la politique ou des arts. La collection « I Pacchetti » a plus tard pris corps en Italie, lorsque nous avons créé L’orma en 2012, puis en France en 2020 sous le nom « Les Plis ».

 

- Jusqu’où comptez-vous la développer ?

La collection française est déclinée à partir de la collection italienne, qui compte une cinquantaine de titres. Ces deux dernières années, nous avons publié certains titres en même temps en France et en Italie (Zweig, Proust, Voltaire). La collection en soi pourrait être inépuisable, tant il y a de figures formidables à explorer. Nous avons pour l’instant privilégié les auteurs classiques pour des questions de respect de l’intimité et aussi pour la vocation « iconoclaste » de la collection, qui présente des auteurs que tout le monde connaît sous un aspect inédit.

 

- Les correspondances sont le sujet unique et têtu de cette collection. Quelle est la périodicité et comment effectuez-vous les choix éditoriaux ?

La correspondance est une porte d’entrée, intime, dans l’œuvre et dans la vie d’une personne. La collection prend le contre-pied des clichés ou étiquettes qui collent à la peau de figures emblématiques. Pour chaque auteur, nous parcourons l’intégralité de sa correspondance avant de choisir un angle particulier, autour duquel l’ouvrage va être construit. Nous sélectionnons des auteurs qui aident à penser le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain, dont le parcours et l’œuvre ont été marquants ou exemplaires. Nous publions en général deux groupes de Plis par an, au printemps et à l’automne.

 

- Chaque livre est un petit format 64 ou 128 pages. Comment effectuez-vous la sélection des textes pour chacun ?

Nous retenons environ une vingtaine de lettres pour chaque Pli, ce qui est peu au regard d’une correspondance entière ! Ces lettres doivent donc être très représentatives, denses et significatives. Comme nous l’avons dit, elles sont choisies selon une perspective particulière. Pour Leopardi, nous avons décidé de casser l’image du poète pessimiste en proposant des lettres très vivantes, pleines de joie. Les lettres de Baudelaire le montrent en proie à des difficultés financières, amer et inquiet : une image beaucoup moins reluisante que celle consacrée de l’auteur des Fleurs du mal. Celles de Luxemburg dévoilent, derrière la femme politique, sa grande sensibilité à la nature et sa capacité à trouver de la joie dans l’adversité la plus redoutable.

Chaque Pli comporte une introduction du directeur d’ouvrage, des apparats critiques pour contextualiser les lettres ainsi que quatre pages illustrées qui document, souvent de façon décalée, la vie de l’auteur.

 

- La forme du livre est aussi importante et très originale, voire poétique, quelle en a été la conception ?

Le Pli est un livre « postal » à tous points de vue : la lettre est à la fois le contenu et le contenant. Nous avons fait en sorte que le livre soit de petit format, léger, pour qu’on puisse l’emporter avec soi et le poster à moindre coût. Nous avons choisi un beau papier, agréable au toucher, et une jaquette qui se décline en différentes couleurs. La couverture de l’ouvrage devait être versatile et pouvoir se transformer en enveloppe, nous avons donc beaucoup réfléchi au pliage, et aussi repris les codes graphiques de la correspondance : le timbre à l’effigie de l’auteur, le dos de la couverture pareil au verso d’une carte postale. Au-delà de l’aspect pratique, fonctionnel du livre, nous voulions un objet élégant, soigné et original.

 

- On aimerait une confidence : quels sont les prochains titres dont vous comptez nous régaler ?

Deux nouveaux Plis paraîtront en octobre : Hugo, Comment faire la révolution, une sélection de lettres politiques animées d’un immense souffle poétique et pacifiste ; et Shakespeare, Ne demandez pas raison de mon amour, qui présente les lettres écrites par les personnages eux-mêmes, une belle traversée de l’univers dramatique du Barde !

Et nous vous réservons une nouveauté pour novembre : les boîtes à lettres ! Ce sont des coffrets thématiques de trois Plis, assortis d’un aimant. Seront proposés la boîte à lettres des romanciers (Woolf, Proust, Kafka), celle des poètes (Dickinson, Pessoa, Rimbaud) et celle des philosophes (Gramsci, Luxemburg, Voltaire).

Propos recueillis par Karine Papillaud

 

Lorenzo Flabbi et Marco Federico Solari, des éditions L'orma

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