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Nicolas Mathieu, héros du palmarès lecteurs.com et Goncourt 2018

"J’essaie de parler de la vie, des gens et du monde en étant le plus juste possible"

Nicolas Mathieu, héros du palmarès lecteurs.com et Goncourt 2018

Numéro 2 des romans français préférés sur lecteurs.com derrière Vivre ensemble d’Emilie Frèche (Stock) et proclamé Goncourt 2018, Leurs enfants après eux (Actes Sud) est le deuxième roman de Nicolas Mathieu.


Les lecteurs ont été nombreux à poser leurs questions sur ce livre qui les a profondément marqués. Cap à l’est de la France, dans la Lorraine des années 90, où la jeunesse des personnages déclinée en quatre étés rappellera étrangement celle d’un grand nombre des lecteurs du livre. C’est ainsi un grand roman de formation mais aussi un roman politique que Leurs enfants après eux, comme l’explique précisément Nicolas Mathieu dans cet entretien.

Malgré une promotion impressionnante et accaparante, l’écrivain a répondu amplement, avec force détails et beaucoup de générosité aux nombreuses questions de lecteurs.com, plus particulièrement à celles de Régine Roger, Henri-Charles Dahlem, Nathalie DEFLORAINE qu’on remercie chaleureusement ici.

 

- Vous écrivez des romans policiers, comment vous est venue l'idée d'écrire un roman plutôt social qui parle de l'adolescence dans les années 90 ?"

En réalité, j’avais écrit un roman noir, qui prenait prétexte d’une intrigue criminelle pour faire le portrait d’une vallée, de quelques personnages aux prises avec la fermeture d’une usine. J’ai poursuivi la même tâche ici, mais d’une manière peut-être moins « codée », en cherchant encore davantage de réalisme.

 

- Etes-vous parti de ce que vous connaissiez vous-même à cet âge car le roman sonne très juste et très vrai ?

Oui, comme Anthony j’ai pris des râteaux. Comme Hacine et ses potes, j’ai passé beaucoup de temps à fumer des pet’ en attendant que ça se passe. Comme Steph, je sillonnais le coin en scoot et j’allais faire des teufs dans de grandes maisons bourgeoises. Comme eux tous, j’étais mal, j’avais envie d’ailleurs, je trouvais ma vie trop petite et le temps trop long.

 

- Quelles sensations avez-vous ressenti à la fin de l'écriture de votre livre car j'ai éprouvé à la fin de ma lecture une profonde nostalgie ?

J’ai éprouvé un profond soulagement. Après des années de boulot, c’est quand même cool d’en avoir fini. Je comprends le terme de nostalgie, mais lui préfère celui de mélancolie. Il me semble qu’être nostalgique, c’est penser que les temps révolus étaient forcément meilleurs. Ce n’est pas mon cas.

 

- Aux animaux la guerre avait l’étiquette d’un roman noir. Leurs enfants après eux est à mon sens dans le même registre. Était-ce le choix de l’éditeur d’en faire un «roman» ou une envie de votre part ?

Je pensais effectivement avoir écrit un roman noir. Mais finalement, en cours d’écriture, je m’en suis éloigné, et l’intrigue criminelle de départ, déjà mince, est devenue de plus en plus ténue. La question du genre est de toute façon indécidable. Il y a une telle porosité, une hybridation si facile entre les genres, que finalement, la seule chose dont on est sûr, c’est d’avoir écrit un livre. L’éditeur m’a dit qu’en sortant le bouquin en littérature générale, on permettrait à des lecteurs qui ne seraient jamais venus vers le polar de me lire. C’est effectivement ce qui s’est produit.

 

- Vous avez imaginé les noms des communes lorraines dans lesquelles se passe l’action de votre roman, ce qui n’empêche nullement l’aspect «reportage» du récit. Avez-vous travaillé avec une documentation, avec vos souvenirs ou même en vous rendant sur place pour vous imprégner des lieux ?

Je me suis rendu sur place, j’ai trainé dans les lieux que je décris, j’ai bu des coups dans des bistrots en écroutant les gens, j’ai vu des documentaires, lus des bouquins. J’ai tâché de nourrir mon travail d’écriture avec la réalité. Dans ces cas-là, on fait feu de tout bois.

- Comment avez-vous fait pour décrire avec autant de finesse et d’acuité cette vallée de la Fensch, si particulière ?

Il est difficile de répondre à ce genre de questions. Disons que le maitre mot pendant l’écriture fut « restitution ». Pendant que je bossais, je ne pensais pas à la manière dont on avait procédé dans tel roman ou dans tel film pour traiter ce type de sujets, de paysages, de personnages. Je me suis attaché à rendre ce que je connais. Les gens, les odeurs, le climat. Je me suis servi de mes souvenirs et des sensations emmagasinés durant ma vie.

 

- Au fait, pourquoi ce choix de masquer les villes ? Pour ne pas traumatiser les habitants de Hayange, de Florange ou d’Hagondange ?

Si j’avais fait le choix de prendre les noms réels, j’aurais eu moins de liberté avec les lieux et la chronologie. Par exemple, j’aurais été forcé de respecter l’histoire industrielle du coin. En créant cette vallée fictive et pourtant parfaitement identifiable, je me suis accordé une liberté de mouvement beaucoup plus importante.

 

- N’avez-vous pas peur de désespérer les Lorrains en ne leur laissant guère d’autre alternative que la fuite ou le déclin ?

C’est tout le contraire à mon sens. Déjà, parce qu’aucun parcourt n’est achevé, et qu’en dépit de l’espèce de destin social qui pèse sur les personnages, tous ont évolué, tous ont mené leur vie. Tous ont des coups à jouer, des chances à saisir. Ils vivent. Il y a dans le roman, quand on y regarde de près, une certaine variété dans les itinéraires et le surplace n’est qu’apparent.

Ensuite, la description des mécanismes sociaux n’est pas désespérante. C’est l’aveuglement et l’ignorance qui le sont, parce qu’ils nous condamnent à vivre en zombis, en aveugles, qui se croient libres et ignorent tout des forces avec lesquelles ils doivent composer. On posait le même genre de question à Bourdieu quand il travaillait sur les questions de reproduction sociale. Il avait alors pu répondre ceci : "La sociologie ne conduit pas au fatalisme du tout, elle donne des armes pour une action rationnelle sur le monde social, [...] elle donne plus de chances d'agir avec une prévision raisonnable des conséquences de ce qu'on fait…"

Surtout, mon job n’est pas de donner de l’espoir aux Lorrains. Pas plus que de leur plomber le moral. J’essaie de parler de la vie, des gens et du monde en étant le plus juste possible. Et dans la mesure de mes moyens. C’est la même chose quand on me dit : n’avez-vous pas eu peur de heurter un parent, de blesser une connaissance ? On ne fait rien de bon en voulant ménager les susceptibilités.

 

- J’imagine bien la dimension autobiographique du récit et votre propre dilemme. Pourtant, si vous êtes bien parti pour Paris, vous avez choisi de revenir en Lorraine. A-t-il été impossible de se détacher de vos racines ?

A mon avis, les racines nous suivent partout. On n’en finit jamais avec elles. Les raisons de mon retour sont personnelles. Elles procèdent d’un ensemble de causes qui me sont propres. Mais ce n’est pas une réconciliation ou un aveu d’échec.

 

- "J’ai une mémoire. Je sais d’où je viens. Nous venons tous de quelque part.
Ils l’appellent le Grand Est pourtant rien n’y est grand. J’ai toujours pensé que les plus sensibles venaient de régions merdiques. Ils ont ressenti le vide. L’absurde. Le sens de la vie, ils l’ont cherché. La vie aussi." Cette citation est tirée d’un roman qui côtoie le vôtre dans les librairies Sujet inconnu de Loulou Robert. J’imagine que vous êtes d’accord avec la thèse qu’elle avance ?

Précisément, pour Loulou Robert, il ne s’agit pas d’une thèse, mais de littérature, d’un personnage, de cracher des vérités qui n’ont lieu d’être que dans un roman. Je les partage sans doute, mais je partage surtout l’idée qu’on a le droit de tout dire dans les romans, d’être partiaux, excessifs, entiers, brutaux, définitifs.

 

- Un autre roman fait écho au vôtre en cette rentrée, Les idéaux d’Aurelie Filippetti. L’avez-vous lu et si oui, qu’en avez-vous pensé ?

Non, je ne l’ai pas encore lu.

 

- Imaginons, comme au football, d’écrire une suite vingt ans après. En quoi le scénario serait-il différent de l’été 2012 à 2018 ? Autrement dit, les choses ont elles beaucoup changé en Lorraine ?

Sans doute. Ce qui aurait beaucoup changé aussi, c’est l’économie affective des amours adolescentes. Que devient mon histoire une fois que ses protagonistes ont des téléphones portables en main ?

 

- Vous avez participé à l’écriture du scénario de votre premier roman « Aux animaux la guerre » avez-vous pensé en écrivant ce roman au film qu’il pourrait devenir ?

Non. Mais ce roman m’a en partie été inspiré par des images. Celles du film « Mud » : deux gamins dans un bateau sur les eaux du Mississippi, leurs visages pris dans la lumière du soleil qui se lève. J’avais aussi l’image d’Anthony, ce garçon robuste, un peu bas du front, sans casque et torse nu, roulant à fond de train sur les départementales d’une vallée tabassée de chaleur. Je vois souvent ce que j’écris, plus que je n’écris des scènes qui seraient bonnes à tourner.

 

- Le thème de ce livre aurait dû en faire un roman noir et pourtant ce roman est lumineux, avez-vous une explication ? 

Je vais répondre avec des vers de Baudelaire :

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,

Traversé çà et là par de brillants soleils ;

Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,

Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

 

Ce qui est solaire, c’est l’été, la rage de vivre des personnages, leur appétit d’exister.

 

- Ce roman pourrait être qualifié de roman initiatique puisqu’il déroule la vie de ces adolescents que vous regardez avec beaucoup d’humanité et d’affection mais au-delà du roman initiatique avez-vous conscience d’écrire un livre que l’on peut qualifier de politique ?

Absolument. Il est politique au sens où il attache une importance immense aux relations des gens entre eux, à ce qui fait qu’on vit tous ensemble et en même temps à jamais séparés. Il est politique parce qu’il accepte ce fait tout simple : le social, c’est à la fois une guerre qui ne finit pas et une volonté interminable de ne faire qu’un. La société, ce sont des écarts, des hiérarchies, des antagonismes et pourtant, un besoin inlassable de faire corps.

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

 

Téléchargez ici l'intégralité du palmarès qui vous servira de guide pour vos prochaines lectures ! N'hésitez pas à le commenter, le partager, l'imprimer et à en discuter avec votre libraire préféré ou avec la communauté lecteurs.com.

 

 

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Commentaires (5)

  • sylvie MOYERE le 15/11/2018 à 12h46

    J'ai hâte de lire ce nouveau Goncourt en plus l'auteur semble fort sympathique. Je l'ai écouté dans la grande librairie et je viens de lire votre article de questions réponses.Le sujet de son livre est vraiment intéressant .Cela m'a donné envie de découvrir cette bande d'ado.Cela me rappellera un peu ma jeunesse aussi.

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  • Kryan le 11/11/2018 à 12h58

    Merci pour ces questions - réponses intéressantes sur un livre et un auteur intéressants!

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  • Maëlle le 09/11/2018 à 17h07

    Après avoir passé mon été à lire les livres de la rentrée littéraire pour les explolecteurs et en lisant, cette interview, je n'ai qu'une envie : craquer pour ce roman si mystérieux, et peut-être pour tout les autres de l'auteur qui a des paroles magnifiques qui nous donne à réfléchir.

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  • Sophie Wag le 09/11/2018 à 09h11

    Oh là là, que de beaux livres à lire! Et quelle chance pour les explorateurs d'avoir pu les découvrir en avant première! Les sélectionneurs de lecteurs.com ont eu du "nez"!

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  • Geneviève Munier le 08/11/2018 à 19h08

    Pas lu, mais après la prestation de l'auteur au JT de 20h sur France 2 et surtout grâce aux réponses à ces questions passionnantes, je le lirai bientôt, c'est certain.

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