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Le flou, dans son acception commune, est d'abord le signe d'une déficience, un manque de définition. Aussi le langage cinématographique, dans ce qu'il a de plus convenu, nous a-t-il habitués à considérer le passage du flou au net comme une forme d'actualisation : la forme floue, l'image bougée, sont de simples substrats de l'image nette et stable dans laquelle elles s'accomplissent et se stabilisent, en atteignant, dans l'idéal, la précision de contours et de détails propre à la HD.
Tout semble pourtant prédisposer l'image de cinéma au flou : captée et perçue dans la durée, soumise aux variations de la lumière et du mouvement, elle est aussi sujette à toutes sortes de métamorphoses optiques et chimiques qui déclinent à l'infini la palette du vague, du brumeux, du filé.
Entre évanescence et opacité, le flou tantôt tire l'image vers l'immatériel (c'est pourquoi le fantôme hante volontiers les zones floues de l'image) ou vers la matière (vers le pictural). Il est sensation, translation de la vitesse ou des mouvements du corps à l'image, glissement de la vision vers le toucher, perception du chaos extérieur. Mais il est aussi aussi manifestation de l'image mentale, du rêve, de la réminiscence. Le flou inscrit enfin l'image de film dans un champ artistique ouvert : flou d'ensemble, il brouille la frontière entre cinéma et peinture ; flou d'apparition (de mise au point), il renvoie le cinéma à ses origines photographiques, argentiques - à l'émergence progressive de l'image sous l'effet du révélateur - et à l'orchestration du désir de voir.
Dans la mesure où elle exclut toutes les formes irréalisées de l'image floue, l'image nette n'en est-elle pas, au bout du compte, une version appauvrie ?
Ce petit livre en taille est d'une richesse surprenante. Evoquant les différents effets de flous au cinéma, Martine BEUGNET apporte une réflexion sur ce que cela dit, ce que cela donne à voir, et ce que cela procure en pensées intérieures. Loin d'être un catalogue ou un listing des flous, elle permet une vraie analyse sur ces autres mondes ouverts par le flou et la machine, bien au-delà des possibilités humaines. Que se soit le flou de ralenti, de mouvement, de brouillard, etc. elle fait des liens avec des films (le livre est illustré) et parfois aussi avec la peinture comme l'effet du sfumato à la Renaissance.
Attention, ce livre n'est pas un manuel de comment faire du flou au cinéma mais de ce qu'est le flou et de sa portée physique et symbolique. Un petit bémol : la plupart des films pris en exemple sont très vieux et méconnus du grand public.
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