En 1811, Cadix est assiégée par les troupes napoléoniennes. À l'endroit exact où tombent les bombes des artificiers français, sont retrouvés les corps meurtris de jeunes filles assassinées sauvagement. Ces événements scellent le destin de divers personnages : un policier brutal et corrompu, l'héritière d'une compagnie de commerce maritime, un excentrique artilleur français, un taxidermiste traître.
Encore un excellent Perez-Reverte ! Un cadre: Cadix assiégée et bombardée en 1805 par les troupes napoléoniennes. Des personnages à forte personnalité: l'inspecteur de police expérimenté, rusé et sans scrupules, le capitaine corsaire, l'artilleur français plus mathématicien que guerrier, la femme d'affaires encore belle mais désespérément seule, l' espion infiltré, le saunier miséreux et courageux et le mystérieux assassin bien sûr. Des seconds rôles (généraux français, députés des Cortès, armateurs, prostituées, bourgeoises gaditanes, capitaine espagnol) à la hauteur font de ce roman un régal. Le passage où le corsaire, redoutable loup de mer, se découvre, malgré lui, amoureux de son intimidante patronne armatrice est un moment magnifique. Le flirt (pardonnez le terme déplacé pour l'époque) tout en non dits, en silences et en points de suspension est somptueux de même que l'amour du saunier pour sa fille (p 526 à 528).
Un roman magnifique à lire et à relire.
Dans Cadix assiégée par les troupes napoléoniennes, un meurtrier en série assassine des jeunes femmes d'une façon particulièrement atroce. Avec une particularité étonnante, presque surnaturelle : les corps des victimes sont retrouvées à chaque fois à un endroit où une bombe française tombe et explose. Chaque corps est d'abord retrouvé juste après une explosion… puis juste avant, comme si l'assassin pouvait deviner à quel endroit exact tomberait la bombe.
Mais ce roman est surtout prétexte à explorer les personnalités profondes, enfouies, et les interactions entre quatre personnages qui personnifient Cadix en 1811.
Cadix elle-même est le cinquième personnage, sorte de grand huis-clos d’un monde agonisant, qui se sait irrémédiablement condamné à disparaître : le système commercial qui faisait grassement vivre la ville sur les importations d’Amérique du Sud, sur lesquelles l’Espagne avait le monople. Mais aujourd’hui les colonies se rebellent et les Anglais, pourtant alliés contre Napoléon, s’emparent méthodiquement et sans pitié des flux commerciaux en Amérique du Sud. Cadix n’est déjà plus elle-même qu’un cadavre agité des derniers soubresauts avant la fin.
Les quatre personnages humains constituent autant de raccourcis de Cadix assiégé, des émanations de chair et d’esprit des différentes composantes de la ville.
Rogelio Tizon, policier corrompu, violent, qui rackette les bas fonds de la ville et torture les prisonniers. Le seul personnage à rencontrer les trois autres. Obsédé par la chasse au monstre qui hante la ville comme Jack l’Eventreur hantera Londres, il découvre les plus horribles abîmes que chacun recèle. Chacun, à commencer par lui.
Lolita Palma, qui dirige l’une des plus anciennes maisons de commerce de Cadix, et qui voit venir la ruine et la disparition d’un monde qui n’a pas bougé en trois cents ans, assis sur son pactole, et que l’évolution du monde moderne balaie comme des toiles d’araignées.
Pepe Lobo, capitaine corsaire, au service de la maison Palma. Courageux, désabusé, attiré par Lolita, il hait la mer, ses souffrances et ses risques, et ne rêve que de rassembler assez d’argent pour se retirer avant de se faire tuer ou de finir mutilé et mendiant.
Felipe Mojarra, saunier pauvre et fier, et guérillero courageux. Patriote ? Peut-être, mais indifférent aux agitations politiques des députés bavards, libéraux comme conservateurs, qui s’invectivent sur la nouvelle constitution à donner à l’Espagne. Indifférent même au roi, luxueusement prisonnier dans le château de Talleyrand. Non, les Français n’ont rien à faire là, c’est tout. Le reste ne changera de toute façon rien pour lui.
Le capitaine Simon Desfosseux, physicien et mathématicien, artilleur chargé de bombarder la ville quasiment hors de portée des canons français. Une sorte de pur esprit, pour qui un obus est un problème balistique, et Cadix rien d’autre qu’une carte sur laquelle il essaie de repousser toujours plus loin le cercle de la portée de ses tirs à l’intérieur de la ville. Ses canons sont ses animaux familiers, et les généraux un amoncellement de cerveaux bridés.
Perez-Reverte aime ces personnages sombres et magnifiques. Alatriste, héros de sa série de cape et d’épée, est un assassin sans aucune illusion sur la nature humaine, fidèle uniquement à lui-même, mais c’est cette fidélité précisément qui l’emmène parfois au sublime. Pas pour l’Espagne, l’Eglise ou le Roi, que finalement il méprise en bloc et individuellement. Pour lui-même. Ici, dans le roman Cadix, on retrouve des morceaux d’Alatriste dans chaque personnage. Mais l’auteur va plus loin. Tout est sombre, crépusculaire. Il n’y a pas de victoire ni de célébration. Il n’y a que la putréfaction vivante d’un corps gangréné, Cadix, et de chacune de ses composantes, de chacun de ses personnages.
A la fois historique et roman policier. Je lis tous les livres d'Arturo Perez Reverte
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