Astrid Houssin signe ce récit sur la douleur et la reconstruction
Quand ses forces commencèrent de le trahir, déjà résolu à mettre fin à ses jours, Roger Stéphane décida d'écrire un nouveau livre sur Malraux, dont il avait dit autrefois qu'il était inépuisable. Tout s'est passé comme si Stéphane avait voulu reprendre une conversation poursuivie de mois en mois, depuis les maquis d'Alsace et pendant plus de trente ans, avec cet écrivain à l'intelligence foudroyante dont il ne s'était jamais lassé, et qui avait eu la bonté, disait-il en riant, de le traiter en interlocuteur convenable. Malraux fut donc l'objet et le compagnon de ses dernières réflexions. Son dernier souci. Lui qui savait tout de l'auteur des Antimémoires continuait de s'interroger sur ce «contemporain capital». Il mettait en perspective les témoignages de Paul Morand, d'Edmund Wilson, de Bruce Chatwin, il se décidait à lire Clara Malraux, il comparait Proust, artiste «régulier», à Malraux, artiste «séculier», il trouvait dans des écrits de jeunesse les traces d'une réflexion déjà faite, et les preuves d'une cohérence souveraine. Malraux, premier dans le siècle est fait d'interrogations, de lectures reprises in extremis, de pistes ouvertes et non explorées, de vivacités brisées. Cet exercice d'admiration est aussi un adieu au monde. Il brille de l'intensité voilée d'un inachevé. Stéphane devina très vite qu'il n'en écrirait jamais la fin. Je ne crois pas mentir en disant qu'il fut la consolation et le remords de ses derniers jours.Daniel Rondeau
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