Mémorial a été créé pour permettre à la société russe d'affronter le traumatisme collectif de la grande terreur mais ces dernières années, Poutine invite la population à se détourner du passé. Les événements du XIXème siècle doivent s'effacer. Ce livre retrace l'histoire d'un combat contre le monopole d'Etat exercé sur le passé.
Confrontés à la conception normative du récit national, les enfants russes ne connaissent pas l'histoire de leurs grands parents. Par exemple, les jeunes kalmouks n'ont jamais entendu le destin de leurs ascendants.
1920: pendant la guerre civile blancs contre rouges, ce peuple subit la collectivisation dans la violence et assiste à la destruction de l'intégralité des temples bouddhistes. C'est une annihilation programmée du patrimoine culturel
1942 : occupation allemande puis reconquête soviétique. Déportation de 95 000 personnes en Sibérie pour collaboration avec le reich.
1957 : les quelques survivants réhabilités sont autorisés à rentrer chez eux. Le bouddhisme reste interdit. Un lissage culturel permet d'annuler le temps des goulags staliniens.
Mémorial en refusant d'enterrer les traces d'un siècle de souffrance ne pouvait continuer d'exister sur le territoire russe.
Son existence allait à l'encontre de l'objectif politique de Poutine qui propose une relecture de l'Histoire : le peuple soviétique a été héroïque. Il s'est toujours relevé des situations les plus désespérées. Le pouvoir en place choisi de propager le Mythe du pays citadelle assiégé par des ennemis.
Pour le régime actuel, la grandeur de l'empire russe est incarnée par Nicolas II et Staline. Poutine rétablit une continuité historique et enjambe la grande cassure de la révolution russe qui a encouragé l'émancipation des peuples. En annexant la Crimée puis en envahissant l'Ukraine, Poutine renoue avec le récit impérial. Il promet le retour de la puissance et de la dignité avec le retour des territoires perdus.
Ce livre est passionnant car il donne un éclairage sur un pays voisin et rappelle cruellement que les gens au pouvoir peuvent être des criminels. L'état peut devenir terroriste. Nous devons nous en souvenir et le dire à nos enfants, à nos parents aussi.
Il est relativement difficile de donner un qualificatif un tant soit peu précis à ce "Moscou - Au coeur de la création contemporaine". Si son format allongé et une partie de son contenu pourraient aisément le faire pencher du côté du guide touristique, l'objet concocté par Etienne BOUCHE se plaît à jour les hybrides. Et, force est de constater, qu'il va bien au-delà de cette étiquette réductrice.
En ces temps où quelques inconscients nostalgiques se plaisent à raviver les effluves nauséabonds de la Guerre Froide, il apparaît plus que nécessaire d'aller au fond des choses, d'arrêter de survoler les sujets pour mieux les approfondir et, dans la mesure du possible, d'aller voir directement sur place de quoi il retourne.
Moscou, le sujet de ce livre - même si cela se fait par le prisme de la création artistique contemporaine - a un passé, un présent et surtout un avenir, une existence et un rapport complexe avec l'art que les dix artistes retenus nous proposent d'ausculter. Au travers des parcours croisés de ces créateurs dont certains se sont déjà, effectivement, croisés, ce sont les expériences, les espoirs, les succès, les inquiétudes surtout qui nourrissent leur vision d'un Moscou qui tend vers une création contemporaine de plus en plus protéiforme, mais toujours sous les feux de la censure.
Il aurait dû être l'un des dix artistes mis à l'honneur dans cet ouvrage mais pour les raisons politiques que l'on connaît, en l'occurence son assignation à résidence, Kirill Serebrennikov est absent de cette sélection mais pas de ces pages car cette condamnation, tout comme son travail, ont valeur de symbole pour ces artistes qui luttent pour que leur création puisse, dans un avenir qu'ils espèrent proches, s'épanouir dans le terreau d'une liberté d'expression non assortie de représailles. Ces poètes, ces compositeurs, ces acteurs, ces photographes n'existeraient pas sans les lieux qui les accueillent et cet ouvrage propose donc d'en découvrir rien moins que 100 même si l'accent est mis sur les plus emblématiques.
Au-delà de la curiosité qu'il suscite, "Moscou - Au coeur de la création contemporaine" propose une réflexion pertinente sur la capitale russe et, par le biais de l'art milite pour le plus sage des conseils : "Mieux vaut se faire son propre avis plutôt que de se laisser influencer par les plus forts en gueule".
Merci à Babelio ainsi qu'à l'éditeur pour ce Masse Critique dépaysant.
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