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La réflexion intense et vertigineuse orchestrée par Pierre Ducrozet - Rentrée littéraire 2020

Avec "Le grand vertige", le romancier interroge sans complaisance les fondements de notre civilisation

La réflexion intense et vertigineuse orchestrée par Pierre Ducrozet - Rentrée littéraire 2020

Le grand vertige, à l’instar de L’invention des corps, Prix de Flore 2017, prend le monde dans l’état où il est, sous ses angles les plus pointus. Son auteur, Pierre Ducrozet, a la puissance littéraire qui assume l’ambition d’une forme et d’un fond parfaitement emboîtés, ce que relève la lecture de Jean-François Simmarano, membre des Explorateurs de la rentrée littéraire 2020.  

 

Pas de chapitre d'observation pour ce Grand vertige. On comprend tout de suite que l'on nous raconte une histoire. Fiction à tous les étages dans un contexte toutefois bien réel, celui de la crise climatique, écologique et planétaire en regard de laquelle l'Europe mandate un éminent scientifique pour entrer en résistance. Enfin. Finies les COP 21 et les larmes de crocodiles de ministres hypocrites qui renvoient la patate chaude (très chaude) aux générations futures. Finies les pirouettes et le dédouanement général. L’Europe agit, ici et maintenant (oui c’est une fiction !).

Budget inhabituel aidant, le scientifique émérite en question recrute. Et Pierre Ducrozet nous invite à suivre les recrutés missionnés à travers le monde, sous la forme d'un roman choral. Forme un peu fatiguée du roman moderne, surtout s'il ne se passe pas grand-chose et que les personnages sont tous frappés d'angélisme, comme dans un film de Cédric Klapisch ou une chanson de Cali. Sans être cynique on avait le droit vu le thème du roman de craindre une purge verte. Mais rapidement, le romanesque gagne les personnages et le diable se cache, comme il en a l'habitude, dans les détails.

La mécanique du roman choral se grippe et s’autodétruit pour faire place à un éloge du mouvement. La fiction se recentre autour d’un groupe restreint de personnages et évite la dispersion fatale dans la choralité. Ce qui aurait pu être Sur la piste du Marsupilami se transforme rapidement en « Nos amis réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique » (R.I.P Ettore Scola). Autant dire qu’il faut apprécier les fausses-pistes pour continuer à s’intéresser à cette intrigue. Et ça marche. On se laisse embarquer, gagné par la qualité du récit, l’attention portée aux personnages  et surtout l’absence totale de complaisance envers la situation, le contexte et la responsabilité humaine dans le dévissage d’une civilisation gangrénée par un libéralisme dévastateur.

 

La réflexion de Ducrozet est passionnante à double titre : par sa construction et ce qu’elle développe comme questions, avec toute l’humilité de celui qui n’a pas les réponses. La pertinence de l’analyse et du discours sur le nomadisme et le mouvement nous laisse pantois. Mais non content d’être brillant sur le fond, l’auteur se permet de poser les questions politiquement incorrectes. En matière d’urgence écologique, pas d’avenir pour les mesurettes. « No future » pour le long terme. La solution est-elle donc dans l’action, y compris violente ? Greenpeace plutôt que la COP21 ? Action Directe plutôt que Ségolène Royal ?

Ducrozet pose intelligemment les bases du débat autour du sujet qu’il aborde. Avec ce que beaucoup pourront interpréter comme du cynisme mais qui se pourrait bien être une étonnante lucidité. Sans lever le moindre coin de voile sur le récit, on peut dire que l’optimisme n’est effectivement pas l’invité d’honneur de ce roman. Et c’est logique. Le contraire nous renverrait vers  le sirop pour la toux que nous resservent les gouvernements successifs et les commissaires européens réunis depuis des décennies.

Il est en tout cas fort agréable de réfléchir avec Ducrozet dans ce Grand vertige qui n’est en aucun cas un pensum.  Les personnages existent sans être forcément attachants (c’est dire si on ne recherche pas la facilité ici), l’aventure est là, romanesque à souhait, même si elle prend des formes inattendues. Puis, être emporté dans la vertigineuse angoisse existentielle de l’infiniment grand et de sa propre responsabilité ne peut faire de mal à personne. Ce qui nous dépasse est par définition infranchissable, mais personne ne nous oblige à tourner le dos à l’obstacle.

Jean François Simmarano

 

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