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Le cadavre exquis avec Ingrid Astier, c'est ici !

Les internautes prennent la plume avec Ingrid Astier

Le cadavre exquis avec Ingrid Astier, c'est ici !

Comme chaque année Lecteurs.com est partenaire du festival Quais du Polar qui se tiendra à Lyon du vendredi 31 mars au dimanche 2 avril.

 

Vous avez été très nombreux à candidater pour participer à ce Défi d'écriture avec Ingrid Astier, dont le dernier roman, Haute voltige, vient de paraître chez Série Noir Gallimard.

 

Nous avons sélectionné 10 talentueux lecteurs qui vont, du 27 mars au 10 avril 2017, à tour de rôle et selon un ordre de passage précis, continuer l'histoire initiée par Ingrid Astier.

C'est parti pour 10 jours de suspense intense !
 

Laissez-vous emporter par l'écriture d'Ingrid, découvrez le début de l'histoire et chaque jour suivez nos auteurs en herbe !

"Cette chemise à carreaux, elle rapprochait Steven de sa mère et il le savait. Elle n’avait rien de remarquable. On était loin des chemises hawaïennes et de leur nature survoltée. Pourtant, c’était sa préférée. Elle ressemblait aux torchons de cuisine de la maison. Aux torchons que sa mère avait soigneusement pliés, un à un, le jour où elle avait décidé de tout abandonner — elle en premier. Elle s’était pendue dans la grange, pour qu’on cesse de lui demander de relever la tête. Sa mort sentait le foin coupé. Quand il l’avait découverte, Steven avait brisé l’ampoule de la grange entre ses mains. Il en avait vu assez. Cette mort remontait à deux ans. Mais la mort des proches est un éternel présent.

D’une main, Steven rentra sa chemise dans son jean. Entre les branches du pommier, l’horizon vacilla. De l’autre, il se tint ferme au barreau supérieur de l’échelle. Plus haut que ce barreau, il n’y avait que le ciel. Au loin, deux chênes griffaient les nuages. Une buse plana dans le silence.

Jusqu’à ce qu’une voiture fasse crisser le gravier.

Elle était comme l’orage : Steven ne l’avait pas entendue arriver."

 

© Ingrid Astier

 

 

L’homme qui en descendit ne prit pas la peine de s’embarrasser avec les convenances d’usage. Son long imperméable gris s’appuya contre l’aile gauche rutilante du SUV pendant que son chapeau incliné empêchait Steven de voir s’il allumait un cigarillo ou une simple clope. Jamais il n’oubliera cette odeur âcre qui émanait du mégot qu’il avait trouvé dans la grange, sous les pieds devenus bleus de sa mère. Ça avait bien failli faire partir en fumée tout le travail d’une misérable vie, dans une famille qui prônait le bio et votait écolo. Ce mégot, c’était comme une salade aux OGM sur la table de cuisine. Incompréhensible.  

Une pomme trop curieuse tomba  et roula jusqu’aux pieds du visiteur qui la prit et la mordit à pleine dents.

« C’est quoi cette merde ! Elles sont dégueulasses tes pommes ! »

Le fruit encore vert écorché, finit sa vie quelques mètres plus loin, rebondissant violemment sur le puits en pierre. Le mouvement du lancer dédaigneux permit à la fumée du tabac consumé d’arriver jusqu’aux narines aux aguets de Steven.

© martine hagnier vandevoir

 

L’image brutale du corps de sa mère s’afficha aussitôt dans son esprit, tel qu’il l’avait découvert deux ans auparavant. Malgré lui, Steven avait respiré ce qui pour lui était l’odeur de la mort maternelle. Il cligna des yeux, secoua la tête comme pour chasser une idée incongrue. Ou la préciser ? Du haut de l’échelle, il vit le clone d’un gangster sorti d’un film en noir et blanc s’approcher nonchalamment du pommier.

- Alors, petit, que deviens-tu ?

L’accent était chantant. Steven resta muet. Il avait beau réfléchir, il n’avait jamais vu cet homme. Et encore moins le SUV … D’ailleurs, ce n’était pas le genre de véhicule à fréquenter la petite route encaissée qui menait à la ferme des Hortis. Son père préférait vivre à l’écart du monde. Ça ne l’avait pas empêché de disparaître un beau jour, sans explications. Steven, alors enfant, se souvenait d’une espèce de soulagement, fenêtre ouverte sur une petite brise d’été.

- Maître Steven, sur un arbre perché …. que vous êtes joli …! lança ironiquement le visiteur. C’est pas encore la saison de la récolte, tu sais ! Descends de ton perchoir, on doit causer, tous les deux.

Un son feutré et un éclair venus du SUV attirèrent alors le regard de Steven.

 

© Chantal Criscuolo

Steven sauta brusquement de son promontoire de fortune.

- Me mets pas en colère garçon, ce serait dommage que j’aie à hausser le ton.

L’inconnu avait déjà dégainé son arme et la pointait sur le fermier.

- Vous êtes qui ?

Le jeune homme tenta de masquer sa fébrilité derrière une virilité et un courage, tout juste portés par les carreaux de sa chemise.

- Un ami de la famille, si on peut appeler ça une famille. Je vois que tu as su faire perdurer l’héritage. Une ferme, des pommes, la nature. Je devrais peut-être me mettre au vert moi aussi !

- Qu’est-ce que vous me voulez ? C’est une propriété privée ! Steven n’en menait pas large face au regard émacié de son vis-à-vis.

- Toujours à cheval sur les principes. Je me suis peut-être invité chez toi, mais je t’ai ramené un petit cadeau, mon garçon.

A peine avait-il levé sa main que la portière s’ouvrit, laissant s’affaler sur le sol trop sec, un corps inerte et ensanglanté.

Steven se jeta sur cette masse corpulente. C’est alors qu’il vit un tatouage, sur son avant-bras : « A+C »

Son quotidien avait été d'une routine inflexible. Telle une ligne parallèle, qui ne croiserait jamais celle des autres. Pourtant, ce jour-là prouvait qu'aucune loi n’est absolue.

© Alsk LESKA

 

Jamais il n’aurait cru avoir un tel courage en lui, ni même une telle vigueur. Porté par la rage, il asséna à son adversaire un coup de poing qui le laissa sonné et envoya valser l’arme.

Il ne savait plus s’il devait profiter de cet instant pour fuir ou achever le combat en immobilisant son assaillant.

Son instinct lui hurlait de prendre ses jambes à son cou, mais les initiales entraperçues un instant plus tôt étaient trop intrigantes. Il ne pouvait pas s’empêcher de faire le lien avec Clara…

Perdu dans ses pensées, il ne le vit pas se relever. Dans un mouvement leste et alerte, l’homme le retourna, la face contre le sol et lui bloqua le bras droit dans le dos. C’en était fini…Son visage se trouvait à quelques centimètres du cadavre dont les yeux grands ouverts le fixaient dans une imploration silencieuse.

-Tu as encore des choses à apprendre petit. Ce n’est pas à un vieux comme moi que tu vas en raconter.

-Je n’y comprends rien. Que me voulez-vous ? Qui est cet homme et pourquoi me le présentez-vous comme un cadeau ?

L’homme poussa un profond soupir, et dans un geste doux relâcha le bras de Steven.

-Alors, c’est vrai, hein, tu ne te rappelles pas ?

 

© StephAlex

 

Une vague d’images déferla devant les yeux de Steven. A+C, Clara, le mégot, sa mère…tout se mélangeait dans son esprit. Le regard dans le vide, il se redressa et invita son assaillant à le suivre à l’intérieur. La méfiance du départ avait laissé place au besoin de comprendre.

Alors que le cadavre traînait toujours négligemment sur le sol, un pied encore dans l’habitacle de la voiture, les deux hommes se dirigèrent vers l’entrée de la vieille bâtisse. Ils s’installèrent autour de la grande table du salon. L’inconnu, qui avait retiré son couvre-chef sur le pas de la porte, dévisagea le jeune homme.

-  Je préfère cet accueil, fiston ! T’es enfin raisonnable !

Après avoir bien inspiré et retrouvé son calme, Steven réitéra sa question :

-  Qu’est-ce que vous me voulez à la fin?

- A+C sur son bras, ça ne te dit rien ? demanda l’homme, en s’allumant une nouvelle tige.

-  …

- A comme Alberta…ta mère et C comme Clara…ta sœur ! Alors, tu piges?

Steven se laissa choir sur le dos de sa chaise. Le coup avait été brutal. Cette information changeait la donne. Comme dans un puzzle dont on trouve la dernière pièce, toute l’histoire prenait enfin un sens.

Heureux de son effet, le gars au chapeau souriait en coin.

 

© Anthony Descaillot

 

Sa sœur Clara, ses longs cheveux bouclés, sa joie de vivre, tout remonta à la surface. Lui qui s’interdisait ce genre de pensées, elles le piquaient comme des aiguilles. Cette douleur sourde qui existait depuis ce jour maudit où sa mère lui avait annoncé sa mort.

Clara avait été retrouvée étranglée sur un terrain vague, ça avait définitivement brisé sa mère. Elle avait essayé de faire face mais les ombres avaient peu à peu gagné et elles s’étaient arrêtées au bout d’une corde. Les flics n’avaient rien eu, pendant des mois, ils avaient espéré l’arrestation du coupable, c’était cette attente qui avait tué sa mère.

Deux mois après son suicide, une autre agression avait été commise, mais une caméra avait réussi à capter un bout du bras du chauffeur sur lequel le tatouage C et A était gravé. Comment cet homme était-il parvenu jusqu’à la ferme ?

Comment était-il au courant de ce détail ? Qui était-il ?

- Tu te demandes qui je suis petit, je suis un ami de ton père.

- De mon père, ce fantôme ! Qu’est ce qui me prouve que vous le connaissiez ?

- Cette chemise, j’étais là quand ta mère te l’a offerte pour ton 15eme anniversaire.

 Ce jour remonta à lui comme dans un film qu’on rembobine.

- Vous étiez là quand….

 

© nathalie eirenamg

 

- Oui, j’étais là. Il faut que tu saches, que j’ai beaucoup aimé ta mère, mais elle avait choisi ton père.

Malgré cela j’ai continué à l’aimer et passais régulièrement la voir, espérant toujours qu’elle finirait par me regarder différemment, avec son cœur. J’ai été très touché par sa mort, je n’ai jamais cru à une mort volontaire et me suis promis de retrouver l’auteur de ce crime.

Tu as vu ce qu’il en reste dans la voiture.

Steven, ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sorti, tant il était stupéfait. Il prononça des mots hésitants.

- Vous, vous l’avez tué ? Qui était-ce ?

L’inconnu pris un instant avant de répondre. Toujours très calme, il regarda Steven droit dans les yeux.

J’espère que tu es conscient que tu vas être mêlé à cette exécution...

Car si je t’avoue ce crime, tu t’engages à n’en rien dire à la police et deviens mon complice.

Steven hocha doucement la tête, tout ceci lui semblait impossible, Il allait se réveiller et sortir de ce cauchemar d’une minute à l’autre. Ce n’était pas possible autrement.

 

© Ghyslaine Plante

 

 

Mystère sur mystère voire misère sur misère !!!
L’autre allait peut être lui annoncer d'une voix à la Dark Vador qu'il était son père ! Steven avait envie de rigoler malgré sa peur.
- Il y a quelque chose de drôle ?
- Non, c'est nerveux répondit-il en essayant de se calmer.

Le type lui fila une baffe retentissante et lui dit "tiens comme ça tu seras un peu plus concentré!".

Steven avait l'impression de vivre un cauchemar.

- Qu'est-ce que vous voulez ? C’est quoi ce binz ? dit-il.

Deuxième baffe. Sur l'oreille droite. Avec ce commentaire "ici, c'est moi qui parle et c'est moi qui pose les questions".

- Tu sais où j'ai rencontré ta garce de mère ? A l'HP ! J’ai bien baisé les deux : ta mère et ta tante ! dit-il content de lui, et par la même occasion j'ai bien baisé ton père aussi.

- Mais...

Troisième baffe. Cette fois sur le nez qui se mit à couler.

- T'as déjà oublié les consignes ?! lui hurla le type. Focus ! Focus ! Continua-t-il à hurler.

Steven avait l'impression de vivre un cauchemar. Il essuya son nez. Il pensait à ce que l'autre venait de lui dire : sa mère internée ! Mais quand et pourquoi  ?!

Le mec continuait sur sa lancée.

- Tu vas me dire où elles ont planqué le fric ?! Moi j'ai fait de la tôle et pas elles ! Moi j'ai dégusté et pas elles ! Tu vas me le dire hein ?

 

© kryan soler

 

Le fric ?! C'était donc ça, rien à voir avec l'amour ou un quelconque sentiment d'empathie, de reviviscence nostalgique. Il  avait fait de la tôle ...soit. Mais pas ELLES...décidément.

A chaque révélation le sol au départ "émouvant" devenait calcaire. Et toute la symbolique de cette histoire lui sautait au visage, un peu comme l'aller et retour qu'il venait de se prendre. Le nombre de couleuvres à avaler nécessitait de la sauce.

La poutre qu'il avait dans l’œil, celle où sa mère s'était pendue et la chemise "tiens-toi à carreaux" qu'on lui avait offert tout ça n'était plus rien à côté de la rage intestinale qui lui montait jusqu'aux incisives. Et le séjour en H.P. que sa mère avait fait, vomi comme une insulte par celui  qui craint le "schizocoque», (ce virus subtil qui consiste à juger les malades comme inférieurs et dangereux voir contaminants) avait fini de le réveiller de sa torpeur.
Avec ce tatouage A+C il avait cru qu'un possible lien familial  le tenait attaché à cet "individu" désormais refroidit. A+C... A+C ... assez !! Le message était clair. Il fallait en finir et la quantité de sang inutile versé dans cette affaire, celui de sa tante, de sa sœur...de sa mère visiblement encore imprégné sur les mains de ce "bonobo sans femelle" allait servir de conduction aux câbles électriques laissés dans la grange.

 

© Valerie Brzechwa

 

Bref. Parenthèse refermée. Malheureusement pour Steven, son courage n'était pas à la hauteur de son indignation. Si les hussards s'étaient mis en rang dans son imagination, belliqueux, prêts au combat, son enveloppe corporelle, elle, était ronflante, elle boudait l'utopie.

Le nez bouffi, il avait l'impression d'être la boîte de conserve rouillée d'un jeu de chamboule-tout, celle contre laquelle la balle rebondit sans parvenir à la faire tomber de son piédestal. Aïe.

- Café ! bredouilla-t-il, absurde, en bondissant tel un pantin désarticulé, les bras mous et, plaqué sur son visage poupin, un sourire aussi convaincant que l'enthousiasme d'un vieux de la vieille relégué au second rôle d'une série Z. Triturant les boutons de la machine à café achetée pour faire plaisir à ses visiteurs - lui-même militait contre le café depuis les doutes qui planaient sur l'intégrité de Max Havelaar - il essaya de mettre en ordre les mots du bandit dans sa tête. Reprenons. Sa mère, sa tante, sa sœur aussi ? pas sûr, il n'avait pas tout compris, la logique embrumée par les claques, mais bref, les femmes de sa vie, assises sur un magot ? Pendant que lui trimait huit jours par semaine à brûler des pneus pour le ferrailleur du coin, histoire de mettre du beurre dans ses pâtes Bio ?

 

© Chloë Luzillat

 

Steven recula d’un pas et prit le temps d’observer cet homme qui s’agitait. L’odeur du café était comme la buse au-dessus du pommier. Elle volait dans l’air, étendant d’invisibles ailes. Des ailes de géant qui protégèrent Steven. Cette odeur qui l’accueillait, quand sa mère n’était pas encore ce fantôme qui l’habitait. Il se recroquevilla sous les pennes du souvenir. L’argent n’avait jamais été son moteur. Ni le pouvoir. Aujourd’hui, les hommes s’en perfusaient. Une drogue perverse, que nul n’interdisait. Dans les volutes de fumée, cet inconnu lui parut encore plus spectral que sa mère. La mort ne l’intimidait plus. Ici, elle était partout chez elle.

Chacun possède en soi une réserve. Des forces insoupçonnées.

Face à lui, Steven ne vit plus l’homme mais sa mère, sa mère au cou brisé. Et ce nœud antérieur qui la forçait à fixer le ciel pour l’éternité. Comme si les astres aspiraient toutes ses pensées.

La douleur monta en lui. L’homme pouvait glousser. Que peut l’avidité contre celui qui parle avec les morts ?

Ses muscles se tendirent, l’arc en lui se bandait.

Il attrapa un couteau. Un éclair argenté. Puis le foin des cheveux et tira brusquement.

La gorge de l’homme commençait déjà à goutter.

Elle aussi regardait le ciel, désormais.

Car les secrets d’une famille, encore plus que les hommes, doivent être enterrés.

 

 

© Ingrid Astier

 

 

Un grand merci à tous pour votre participation, votre imagination et vos textes, merci à Ingrid pour vous avoir inspiré et avoir conclu avec autant d'adresse ce récit digne de futurs auteurs du noir !

Et si vous êtes parisiens, vous avez quelques jours encore pour aller découvrir au théâtre du Rond Point la pièce adaptée du texte d'Ingrid Astier Petit éloge de la nuit avec Pierre Richard.

 

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