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Interview-feuilleton : Guillaume Sire pour "Avant la longue flamme rouge" 1/5

« Finalement écrire un roman à propos de quelqu’un d’autre, c’est un peu comme prier pour lui ».

Interview-feuilleton : Guillaume Sire pour "Avant la longue flamme rouge" 1/5

Avant la longue flamme rouge (Calmann-Lévy) est sans doute l’un des grands romans du moment. Non qu’il traite de confinement, mais plus précisément parce qu’il réussit à lier l’Histoire sans la morale, la fiction sans le fantasme, la construction sans l’échafaudage, l’émotion sans le pathos, la singularité et l’universel dans un seul poing.

Ce grand livre, on le doit à un déjà solide écrivain, Guillaume Sire, signalé dès 2007 avec Les Confessions d’un funambule. Il a alors 22 ans et un talent très, très prometteur. Trois romans plus tard, celui qui commençait à 20 ans par récolter des prix de poésie, livre ici l’un de ses plus beaux textes de fiction.

Avant la longue flamme rouge s’empare du moment où les Khmers rouges vont conquérir le Cambodge, à travers l’histoire d’un petit garçon, Saravouth, qui slalome au milieu des balles dans un monde en ruines, pour retrouver ses parents. Le texte est puissant, somptueux, riches de références littéraires et culturelles, sans affectation. Avant même d’avoir atteint 35 ans, Guillaume Sire sait que la littérature est une reine exigeante, qu’il faut servir sans rien en attendre que la beauté qu’elle rendra.

L’interview qu’il a donnée à lecteurs.com est éloquente, non seulement parce qu’elle révèle les dessous de la conception de ce roman hors normes, mais aussi en donnant à voir toutes les racines d’un livre, jusqu’au profond de la pensée de son auteur. Si Guillaume Sire sait rendre charnelle, vivante, odorante, poisseuse et riche sa langue, sa relation à la littérature est une relation intellectuelle et passionnée. Nous avons voulu profiter du confinement pour donner rendez-vous à Guillaume Sire au cours de cinq moments sur le site.

Rencontre avec un écrivain qui surprend, nourrit et apprend à lire.

 

Episode 1 : Raconter l’Histoire dans l’histoire

- Avant la longue flamme rouge raconte les années de bascule historique au Cambodge, au moment de la conquête sanglante des Khmers rouges, à travers l’itinéraire d’un petit garçon, Saravouth. Au moment où démarre le livre, quelle est la situation au Cambodge ?

Le prince Norodom Sihanouk vient d’être renversé par un coup d’état fomenté par le général Lon Nol et soutenu par les États-Unis. Nixon reprochait à Sihanouk de ne pas avoir pris parti à ses côtés lors de la guerre du Vietnam (dans laquelle les États-Unis se trouvaient engagés depuis 1955) tout en n’agissant pas pour faire respecter ses frontières au nord. Cette inaction permettait en effet aux Vietnamiens communistes, ou « Viêt-Congs », d’y installer des bases-arrière, et d’attaquer depuis ces foyers les troupes américaines et Sud-Vietnamiennes. Après avoir proclamé la République, Lon Nol entra en guerre pour chasser les Viêt-Congs du nord du Cambodge, armé par les Américains, et appuyé par leurs bombardiers qui au total larguèrent sur le pays 250 000 tonnes de bombes.

Dès 1970, des miliciens communistes khmers, que Sihanouk appelait « Khmers rouges », virent dans le coup d’état du général Lon Nol l’occasion ou jamais de prendre le pouvoir. Ils se mirent par conséquent à lutter contre les armées de la République, avec l’aide des soldats restés fidèles au prince et espérant le voir revenir à la tête du pays.

Quand le roman commence, nous en sommes là, c’est-à-dire en plein chaos, parce que dans une guerre civile de cette ampleur rien n’est compréhensible, pour personne — on se liquide entre voisins, il y a des embuscades, des pillages, des meutes de violeurs, des incendies au milieu de la nuit. Seule Phnom Penh, en 1971, était encore à peu près vivable, même s’il y avait déjà des kidnappings et des assassinats. La capitale s’apprêtait cependant à être assiégée par les Khmers rouges, et prise, comme on sait, en avril 1975, par les chauve-souris de Pol Pot assoiffées de sang, dont le règne durerait jusqu’en 1979, et coûterait la vie à un quart de la population.

 

- Il existe une haine très forte entre Cambodgiens et Vietnamiens. Dans quelles origines la guerre prend-elle ses racines ?

Il n’y a pas que des Khmers au Cambodge. Il y a aussi des Vietnamiens, qui parlent vietnamien, et vivent entre Vietnamiens dans des villages à part — mais ont la nationalité cambodgienne.  Lorsque les armées de Lon Nol ont déclaré la guerre aux Vietcongs, il a également été décidé de tuer ou d’expulser tous les Vietnamiens du territoire, y compris ceux qui étaient là depuis des siècles, et n’avaient pour la plupart jamais mis les pieds au Vietnam, même si leur langue et leur culture étaient vietnamiennes, annamites. J’ai dit que Phnom Penh en 1971 était plutôt préservée, mais cela n’était vrai que pour les Khmers. Les Vietnamiens du Cambodge quant à eux furent massacrés, hommes, femmes et enfants, par un gouvernement qui rappelons‑le était soutenu par Nixon, lequel, trop préoccupé par le bourbier du Vietnam et bientôt par le scandale du Watergate, avait décidé de fermer les yeux sur les dommages collatéraux.

Et puis, en 1979, il se trouve que c’est le Vietnam qui a libéré le pays des Khmers rouges. Beaucoup de Cambodgiens traumatisés par le règne de Pol Pot ont alors cherché à s’enfuir vers la Thaïlande ou ailleurs, jurant de ne plus jamais vivre dans un pays communiste, fusse-t-il vietnamien. Pour éviter l’exode massif qui s’annonçait, les Vietnamiens ont truffé la frontière thaïlandaise, à l’ouest, de millions de mines, qui encore aujourd’hui continuent de tuer les Cambodgiens. Cela a rajouté de la haine à la haine, comme vous l’imaginez.

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

 

Bientôt sur Lecteurs.com, la suite de l'interview-feuilleton de Guillaume Sire

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