Une enquête historique et romanesque sur la vie de Louis Legrand, condamné à la réclusion dans un monastère, et qui construisit deux globes, terrestre et céleste, pour honorer la mémoire de son amante d'un seul jour.
Rétif de La Bretonne raconte combien, lors de son passage à Dijon en 1759, il avait été impressionné par les dimensions d'un immense globe terrestre : "Ce fut aux Capucins que je vis un globe superbe, ouvrage de vingt ans, fait par un Père dont les voeux avaient été forcés. Il ne trouva que ce moyen de se distraire ; l'ouvrage achevé, il mourut de chagrin. [...] Avec son défaut, cet ouvrage immense est encore admirable et vaut mieux à lui seul, pour ses possesseurs, que tous les livres de géographie ensemble" (Monsieur Nicolas.)
Déjà à cette époque, on ne savait guère de choses du Père Louis Legrand, si ce n'est qu'il avait eu à souffrir de l'amour et qu'il fut contraint de prendre la robe pour sauver sa vie. Ce n'est que dans la construction d'un globe terrestre de près de six mètres de circonférence qu'il trouva le moyen de s'évader, de franchir les mers et de rejoindre, à travers des géographies incertaines,
parfois même imaginaires ou fantaisistes, la jeune Laure de Versac, dont il était tombé amoureux lors d'un séjour dans les terres lointaines du Canada.
Après s'être préoccupé de cette autre géographie, instable et mouvante, que forment les nuages, Louis Legrand s'inquiéta de savoir si tout son malheur ne procédait pas de ce que la Terre était inclinée sur son axe. A l'annonce de la mort de sa bien-aimée, assuré que celle-ci résidait désormais dans le firmament, il construisit alors un deuxième globe, céleste cette fois, où, parmi
les constellations du ciel étoilé, il chercha à suggérer le visage de celle qu'il n'avait jamais oubliée. Mais à la Révolution, lors du transfert de ces globes du monastère des Capucins à l'ancien collège des Jésuites, le globe céleste disparut dans des conditions mystérieuses, alors que le terrestre est jusqu'à ce jour encore visible à la bibliothèque municipale de Dijon. Fidèle à sa méthode, qui consiste à suppléer les lacunes et les insuffisances de la réalité, Alain
Nadaud mène l'enquête ; il nous invite ainsi à revivre de l'intérieur non seulement le savoir-faire d'un artisan-cartographe du XVIIIe siècle et les différentes étapes de la construction des globes, mais aussi les espoirs chimériques et les tourments d'un homme qui ne se consola jamais d'un
amour de jeunesse et dut subir, une vie durant, la vengeance de la famille qu'il avait "déshonorée".
Une vie gâchée par une étreinte : l'histoire de Louis Legrand est la métaphore de toutes les amours maudites, une fable qui symbolise la démesure d'un siècle où se côtoient libertinage et obscurantisme - dont l'esprit encyclopédique tente de conjurer les folies respectives. Construit à partir d'indices historiques suggestifs mais peu nombreux, le roman d'Alain Nadaud prend peu à peu les allures d'une biographie "probable", dédiée à un homme que la passion puis le châtiment condamnèrent au voyage immobile, et qui s'adonne à un grand oeuvre dont la valeur est aussi métaphysique que scientifique (comment en effet représenter continents et pays vus à travers
d'improbables témoignages, sans pouvoir soi-même voyager ni vérifier quoi que ce soit oe). Minutie et incertitude, art et imagination : telles sont les qualités requises par le romancier, et par le cartographe élaborant ses globes terrestre et céleste. Alain Nadaud séduit par sa manière ludique et très maîtrisée de pousser la curiosité jusqu'à la lisière de l'inconnu.
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