Yamen Manai, Prix Orange du Livre en Afrique 2022, partage avec nous sa bibliothèque idéale
Yamen Manai, Prix Orange du Livre en Afrique 2022, partage avec nous sa bibliothèque idéale
Le choix des comités de lecture en Afrique et du jury international s’est porté sur "Bel abîme", éditions Elyzad (Tunisie)
Des auteurs venus du Cameroun, de la Côte d'Ivoire, du Maroc, du Sénégal et de la Tunisie
Écrire, c’est transformer les abîmes
Le barrage est rompu, l’eau envahit tout, entraine tout sur son passage et vous emporte, vous, lecteur de ce livre magnifique.
C’est un flot qui jaillit, les mots de cet adolescent face à l’avocat commis d’office et au psychiatre qui doit l’évaluer.
Il dit son pays en déliquescence la Tunisie, qui n’a rien de commun avec une carte postale.
Il dit l’invisibilité de ceux au bas de l’échelle et cela commence par les enfants qui subissent la violence familiale et institutionnelle, ils sont niés, même pas considérés comme des hommes en devenir.
Une société gangrenée où le savoir et les sentiments ne sont pas une valeur mais plutôt une faiblesse à ne pas montrer.
Obéir, entrer dans le rang de la masse, laisser les adultes se noyer dans une surenchère d’apparences.
« Comment m’est venue cette passion pour les livres ? On en avait à la maison, alors j’ai fini par mettre le nez dedans. Ne pensez pas que c’est mon père qui m’y incitait, de ce point de vue-là, il ne s’est jamais intéressé à moi, il ne m’a jamais rien appris. Ne pensez pas non plus qu’il a lu l’intégralité de sa bibliothèque ! S’il y avait des livres à gogo et de tout horizon, c’était pour impressionner la galerie, pour s’acheter auprès de ses collègues docteurs une réputation d’intellectuel. »
Il, est un adolescent qui depuis trois ans vit une histoire d’amour avec Bella, amour fou qui l’a fait grandir, lui le petit invisible qui doit pousser sans amour, sans mots face à cette conscience qui s’éveille.
Il a beaucoup supporté mais il ne fallait pas s’attaquer à son amour, Bella, toujours là, avec amour, confiance et partage. Elle a fait éclore en lui une multitude de sentiments, l’a révélée à lui-même. Elle l’a fait différent de ce qu’il aurait été sans elle.
Il a relevé la tête, alors qu’importe ce qu’il a acquis restera pour toujours, ce qu’il énonce clairement dans ce flot aux accents d’un râle douloureux et rageux, c’est le constat d’un jeune homme au regard décillé par une sagesse de vieillard.
C’est un cri d’espoir pour un monde où il faut endiguer les tabous et rompre les chaînes.
Assez de ressasser les différences, ce qui divise, soyons créatifs.
La beauté de cette écriture est indéniable, elle charrie poésie et réalisme, en un rythme qui emporte tout sur son passage, et lorsque le lecteur est échoué sur le rivage il est en proie à une belle réflexion.
Multi primé cet opus est un feu qui n’est pas près de s’éteindre.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2023/01/06/bel-abime/
Le Don élève ses abeilles, ses filles. Appréciant le calme et la quiétude de cette vie retirée dans un village d'un pays qui ressemble à s'y méprendre à la Tunisie.
Ce pays a eu à sa tête un Vieux, chassé par un Beau, lui-même expulsé du pouvoir par une révolution...toute ressemblance avec une situation ayant existé n'étant clairement pas fortuite.
Un jour, le Don observe un phénomène inquiétant : des milliers de ses filles sont mutilées par un ennemi inconnu de tous... S'ensuit une recherche effrénée pour trouver une solution, pour sauver les autres ruches d'une mort certaine.
Ce roman est un vrai coup de cœur, une œuvre poétique et puissante.
L'on y parle d'abeilles, certes, mais de tellement d'autres choses. Cette lutte pour sauver ces insectes est une formidable allégorie, une image de la vie, menacée par l'obscurantisme.
Yamen Manai nous montre comment l'espoir d'une révolution populaire a laissé la place à des fanatiques.
Comment la pauvreté a facilité l'appropriation de la révolution par des hommes qui ont bien compris qu'un bulletin de vote peut s'acheter à coût de caisses de vivres ou de vêtements.
Comment les femmes ont été enfermées ou se sont enfermées volontairement dans un monde rigoriste.
Comment la culture et la connaissance cèdent le pas au consumérisme. À l'égoïsme forcené.
À l'inverse de cette obscurité, la lumière et la sagesse du Don, celle de la création face à la haine des autres résonne comme un oasis d'humilité et de bonté.
Si la tristesse se ressent à chaque page, face à ce gâchis venu et à venir, il n'en demeure pas moins qu'une grâce et une espérance sont également présentes.
Ce roman dont j'ai savouré chaque page est encore une très belle découverte aux éditions Elyzad que je vous invite à découvrir.
Un monologue comme un long cri, jeté à la face du lecteur.
Celle d’un jeune tunisien, arrêté pour un crime et qui s’exprime face à son avocat et au médecin chargé de l’examiner.
Un monologue pour expliquer la violence et la solitude, le trou qui se creuse dans le cœur dès les plus jeunes années.
La seule lumière de cette existence faite de violence et de silence : l’amour de Bella.
L’amour qui réchauffe et qui donne un sens, qui façonne et permet de vivre, responsable d’un autre qui nous devient plus précieux que la vie.
Mais la fin est déjà écrite et malheureusement, le happy end n’est pas au programme…
Énorme coup de cœur pour ce bref roman. J’avais beaucoup aimé « Le cœur ardent » de cet auteur, autant dire que j’attendais ce nouveau roman avec impatience et je n’ai pas été déçue.
Dans un style puissant, tout en dureté là où « le cœur ardent » était en rondeur. Les deux romans dénoncent, cependant, la même chose : le vol par les élites des rêves du peuple mais aussi la pauvreté et l’absence d’espoir.
C’est à Tunis, ça pourrait être la France. Les rêves brisés n’ont pas de frontières.
C’est magnifique et émouvant. Fort et intemporel.
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