Un moment privilégié avec l’auteur de la bande dessinée "Azur Asphalte" : attention, places limitées !
« J'ai cessé d'être hôtesse il y a un an pour me mettre à écrire et me sortir des poisons de la tête. Seulement en avion. La nuit dans le ciel me chuchote les mots effacés dans l'enfance. Et l'odeur du feutre des fauteuils imprégnés de strates d'intimité et de vies inconnues me rapproche d'une humanité dont j'essaie de pénétrer les secrets. » Vol de nuit Paris-Singapour à bord d'un Airbus A380. Talitha se met dans sa bulle. A son côté, une adolescente très particulière. Plus loin, une femme fait le deuil d'amours malheureuses et cajole son chien minuscule. Dans le cockpit, le copilote est en proie à ses démons. Et l'homme sans âge, Anil Shankar, qui revient de son ashram, est prêt pour le dernier voyage.
Talitha, ancienne hôtesse de l’air, prend place dans un A380 à destination de Singapour depuis Paris. Des heures de vol en perspective en compagnie d’inconnus tous embarqués pour un huis clos d’une quinzaine d’heures. Aux côtés de Talitha le lecteur fait la connaissance de Leïla, une jeune fille de 15 ans, autiste Asperger qui rêve de pénétrer dans le cockpit. Puis Marie Ange, femme d’affaires en route pour ce qui semble être une nouvelle vie. Saul le copilote au comportement étrange et visiblement au bord de la rupture et Anil, ancien homme d’affaires atteint d’un cancer en stade terminal. Le trajet va ainsi se dérouler entre les souvenirs de Talitha qui revient sur sa passion pour son ancien métier et sur une histoire d’amour qui a failli la détruire et ce qui se passe dans l’avion et se joue entre chacun des personnages.
Ce voyage dans un espace temps et dans ce lieu si particulier qu’est un avion est l’occasion pour tous de laisser tomber le masque, de cesser de jouer un rôle et de montrer ou de s’avouer leurs failles et leurs doutes. leurs angoisses ou leurs espoirs. Chacun à sa manière est en quête de quelque chose et à un moment clé de leur vie.
Ce qui m’a tout d’abord frappée c’est que tous ces passagers voyagent seuls. Pas un qui soit accompagné d’un parent, d’un ami, d’un compagnon. Et c’est probablement leurs différentes solitudes qui vont faire que leurs histoires peuvent s’imbriquer les unes dans les autres. L’auteure va ainsi créer des passerelles entre les uns et les autres, par paire, par petit groupe et les faire aller ainsi des uns aux autres, tissant des liens plus ou moins étroits entre eux.
En alternant des chapitres courts qui mettent en scène tour à tour ces 5 personnages, en les faisant parfois s’entrechoquer, parfois plonger dans leurs pensées intimes, Caroline Tiné imprime un rythme soutenu au récit. On sent monter petit à petit comme une sorte de suspens quant à l’issue du voyage. On vole ainsi, entre deux mondes, persuadé comme semblent l’être les personnages que la vie après ce trajet sera différente, que ce voyage en avion ouvrira des portes vers des vies nouvelles.
Chacun des personnages est attachant à sa façon, on aime voyager à leur côté et s’attarder avec eux dans leurs introspections ou dans les projections de ce qu’ils imaginent être un moment qui signera peut-être de profonds changements.
Je n’imaginais pas qu’il puisse arriver tant de choses au cours d’un voyage en avion. Je crois que je ne regarderai plus mes compagnons de vol de la même manière dorénavant !
Lire encore et encore. Lire encore et toujours, et toujours rencontrer de nouveaux auteurs, découvrir de nouveaux styles d’écriture, partager la vie de nouveaux personnages. Aujourd’hui, j’entre dans l’univers de Caroline Tiné pour la première fois à travers son quatrième roman "Tomber du ciel" et je m’envole, moi qui ai pourtant peur de l’avion.
S’envoler ! s’immiscer dans le ventre rond d’un A 380, le temps d’un vol de nuit Paris/Singapour, s’installer dans un fauteuil et contempler passagers et membres d’équipage, les observer, les entendre, les deviner… Dans ce huis clos insolite et pesant, on côtoie Talitha, ancienne hôtesse de l’air, qui désormais écrit mais a besoin pour libérer ses mots d’entendre les battements de cœur de l’avion. Près d’elle, côté hublot, Leïla quinze ans – U M, Unaccompanied Minor – "Très belle, métisse au teint mat, aux cheveux noirs et bouclés, elle a un regard intense". Différente, atteinte d’un autisme Asperger, elle rêve de visiter le cockpit. En face, a pris place Marie Ange, cheveux roux, qui étudie ses voisines avec beaucoup d’attention. Le copilote, Saul, dépressif, vient juste de rentrer d’un congé maladie. "Il reste là, comme un fou volant intermittent, un somnambule naviguant au gré des vents dominants, à attendre que le monde décide pour lui." Anil, "l'homme sans âge, semble perdu dans un songe." Il souffre d’une maladie incurable et se trouve visiblement confronté à son tout dernier voyage.
J’ai particulièrement aimé la belle écriture délicate, l’étude fine et bourrée d’empathie, le regard bienveillant que l’auteure pose sur chacun de ses personnages, tous attachants par leurs faiblesses. J’ai aimé le portrait fouillé qu’elle en dresse, l’analyse minutieuse qu’elle fait de leurs douleurs, leurs souvenirs, leurs doutes. J’ai aimé ses questions sur le rapport de chacun à son enfance, à ses parents. J’ai tout autant apprécié les retours en arrière, les rebondissements, le rythme du récit qui petit à petit monte en puissance et m’a tenue en haleine jusqu’à être "tombée du ciel." Derrière sa couverture discrète, blanche déchirée de bleu, le roman décrit en profondeur la vie qui, tel un voyage entre ciel et terre, se déroule entre temps calme et turbulences. Théâtre, chant choral, il orchestre les solos jusqu’à l’apothéose.
Sans doute "Tomber du ciel" ne m’a-t-il pas guérie de ma phobie de l’avion, mais il m’a procuré bien plus : le plaisir d’une lecture touchante, captivante, d’une indulgente étude des âmes torturées.
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Version moderne de l’unité de lieu, Caroline Tiné a imaginé avec «Tomber du ciel» un huis-clos à bord d’un A-380. Introspection, rebondissements et étonnant épilogue à la clé.
C'est une histoire de ciel. De ce ciel où est partie bien trop tôt la mère de la narratrice, la laissant avec la nostalgie de son parfum, ses robes indiennes et sa liberté. De ce ciel dont elle imaginait tomber quand elle était enfant, après la séparation de ses parents. Elle devait alors prendre l'avion seule pour rejoindre la côte ouest où vivait désormais son père, augmentant sa peine et son désarroi. De ce ciel aussi qu'elle a choisi de dompter en devenant hôtesse de l'air, préférant une vie dans les nuages à cette terre ingrate: «Désormais, quand je vole, je deviens avion. Et je déguste ce moment privilégié où le relief cède la place au rien. Être si près du ciel m’a permis de comprendre qu’on ne peut pas tout comprendre. Que l’infini existe ».
C’est enfin de ce ciel qu’elle veut faire entendre sa voix. Elle a pris l’habitude d’écrire sur son ordinateur portable quand elle est au-delà des nuages et elle va profiter des quelque treize heures de vol entre Paris et Singapour pour conclure le récit de sa vie, de ses voyages et de ses rencontres. Tout comme cet Airbus A-380 qui effectue l’un de ses derniers voyages, elle entend boucler la boucle.
L’ambiance semble du reste parfaitement s’adapter à son objectif. Elle connaît très bien l’avion, mais aussi une partie de l’équipage, en particulier l’hôtesse et le co-pilote. Et son entourage semble parfaitement paisible. Mais même à plus de 10000m d’altitude, il faut se méfier des apparences…
Caroline Tiné nous réserve quelque surprises, mêlant habilement l’histoire de Talitha à celles de quelques passagers qui la côtoient. Saul, le copilote, est en pleine dépression. Après avoir appris que l’avion qu’il avait appris à maîtriser à la perfection cessait son exploitation commerciale, «il s’est senti tomber du ciel, descendre aux enfers, comme une bête malade sur le point d’être achevée». Un état d’esprit loin d’être rassurant pour les passagers dont il a la charge.
On imagine que Marie-Ange Leroux, spécialiste des objets d'art et des transactions dans les port-francs, est de meilleure humeur. Ne vient-elle pas de signer un contrat de travail à Singapour qui lui assure un bel avenir? Elle n’est cependant sûre de rien et, à l’image des feuilles de son contrat qui s'envolent lorsque des turbulences secouent l’appareil, son équilibre est instable. D’autant qu’elle essaie d’oublier une déception sentimentale. Sans oublier le petit chien qui voyage dans son sac à main.
Leïla, assise un plus loin, observe avec avidité ses voisines. Son sport favori consistant à deviner qui se cache derrière les visages de ses voisins. Atteinte du syndrome d’Asperger, elle calcule et déduit, ira jusqu’à télécharger le contenu de l’ordinateur de Talitha pour en savoir davantage sur ce qui se trame dans cet avion et rêve de visiter le cockpit. Reste Anil Shankar, l’homme qui a pris place au bar, et qui va être victime d’un malaise alors que les turbulences s’aggravent.
Autant de destins individuels désormais liés dans ce roman choral que la romancière va prendre un malin plaisir à faire ricocher de l’un à l’autre comme une boule de billard à la trajectoire de plus en plus aléatoire. Car il semble bien que toutes les tentatives faites pour reprendre le contrôle de leur existence soient vouées à l’échec. Il est vrai que tous ont quelque chose à oublier…
Sans dévoiler l’épilogue de ce roman, on dira que même la destination finale du voyage sera remise en question, confirmant ce que disait Christophe Colomb il y a déjà quelques siècles: «On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va». Caroline Tiné nous en apporte ici une belle démonstration.
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