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Le cadavre exquis, c'est parti !

Les internautes prennent la plume avec Franck Thilliez

Le cadavre exquis, c'est parti !

A l'occasion de notre partenariat avec le festival Quais du Polar, qui se déroulera du 4 au 6 avril à Lyon, lecteurs.com organise, sous l'égide de Franck Thilliez, l'écriture progressive d'un cadavre exquis.

Chaque jour, du 19 mars au 2 avril, les dix internautes sélectionnés devront, à tour de rôle selon un ordre de passage précis, continuer l'histoire initiée par Franck Thilliez. Enfin, le 3 avril, Franck Thilliez conclura la nouvelle, qui sera ensuite lue pendant le festival.

 

 

     

 

De sang et d'encre

"Elisa aimait traverser le parc en rentrant de la bibliothèque où elle travaillait. Les journées avaient bien raccourci depuis début octobre, mais il faisait encore assez clair pour qu’elle se risque le long du petit chemin de gravillons rouges, bordé d’arbres épais et de buissons. De plus, ce sentier lui faisait facilement économiser deux ou trois minutes sur le quart d’heure nécessaire pour rentrer à son appartement.   

Le livre était posé là, sur le banc désert, mollement éclairé par un lampadaire qui venait de s’allumer. Couverture crème, une petite centaine de pages, à vue de nez, avec ce titre en rouge : « La morte du parc », d’un certain Auguste Dupin. Jamais entendu parler. La jeune femme regarda autour d’elle. Personne. Ça ne pouvait pas être un oubli : le livre était posé à la verticale, pile au milieu du banc, bien en évidence. Peut-être un inconnu qui l’avait lu et abandonné avec l’espoir qu’un autre lecteur s’en empare, le lise, et le transmette à son tour ? Elisa décida de jouer le jeu et de l’embarquer. Elle le mit dans son sac et reprit son chemin, pressée d’en découvrir l’histoire."

© Franck Thilliez 

 

"Tout en marchant, elle se répéta le nom de l’auteur… à bien y réfléchir elle l’avait déjà lu quelque part, mais où ? Perdue dans ses pensées, Elisa ne vit pas l’obstacle sur le gravier, son pied buta contre une masse sombre, elle perdit l’équilibre et se retrouva par terre.

Elle se rappelait maintenant : l’exposition sur le roman policier ! Sa bibliothèque l’avait organisée et elle s’était chargée de la sélection des ouvrages. Sherlock Holmes et le chevalier Dupin, bien sûr, comment avait-elle pu oublier ! Pourtant, s’il apparaissait dans plusieurs nouvelles de Poe, Auguste Dupin n’avait pas écrit de livre, c’était un personnage fictif. N’y tenant plus, Elisa sortit l’ouvrage de son sac, assise à même le sol. Elle le feuilleta et ouvrit de grands yeux : à l’exception de la première, toutes les pages étaient blanches. Elle lut et ses yeux s’arrondirent de plus belle. « Chère Elisa, à partir de maintenant c’est à vous d’écrire l’histoire. Auguste Dupin, c’est vous. » Agacée par ce canular, elle se retourna pour retirer la branche du chemin et resta pétrifiée. Sa main venait de se refermer sur une jambe."

© Cnémide

 

"Elisa ne parvint pas à pousser un seul cri tant elle était saisie d’effroi. Un instant elle croyait même perdre connaissance. Mais son tempérament fort doublé de sa curiosité immodérée la poussa à identifier ce gisant dont seules les jambes dépassaient d’une haie. Courageusement, la jeune femme se pencha à travers le feuillage. Son cœur manqua un battement tandis qu’elle reconnut le visage du directeur de sa bibliothèque.

De puissants projecteurs avaient chassé la nuit de l’espace vert. La police avait bouclé le parc laissant les agents techniques effectuer leur travail de fourmi.  Après avoir certifié aux pompiers qu’elle se sentait bien, Elisa avait été interrogée par les officiers de police dépêchés sur place. Elle leur narra ce qui s’était passé omettant volontairement l’existence du mystérieux livre qu’elle garda caché au fond de son sac. Son instinct lui avait commandé de ne pas en parler... pour le moment. L’instigateur de ce macabre scénario avait fait d’elle l’héroïne de cette histoire. Sans pouvoir se l’expliquer la bibliothécaire pressentait qu’elle devait relever ce défi insensé. Comme le chevalier Auguste Dupin."

© Frank Klarczyk

 

"Se noyer dans l’oubli. Alcool, folie, tout était bon à prendre. Elisa posa le livre devant elle et laissa couler les premières larmes. Pas longtemps, juste ce qu’il fallait pour effacer un peu de peur. Ses mains qui tremblaient, elle les cacha sous la table. Puis elle attendit que les images reviennent, tout en fermant les yeux. Ce fut d’abord le visage qui lui revint en mémoire, aussi pâle qu’une lune de printemps. Les chairs ensuite, offertes sans pudeur et dévoilant l’os du crâne maintenant à nu. Et enfin le sang, sombre, épais, déjà froid. Machinalement, elle frotta ses mains l’une contre l’autre, comme pour en retirer ce qui n’y était plus. Pourquoi avait-il fallu qu’elle soit là, pourquoi avait-il fallu qu’elle se penche, qu’elle regarde…

C’est vers trois heures du matin, alors que la pluie commençait à rugir contre la vitre, qu’elle ouvrit enfin le livre. Elle lut et relut plusieurs fois les mots, se demandant si tout cela n’était pas qu’un rêve. Mais l’effroyable réalité s’afficha soudain sous la forme d’une photo jaunie qui glissa du livre et retomba doucement sur la table."

© Marie-Jeanne Lucas

 

"Les survivants n’ont pas de mémoire. C’est ce que le clochard de la promenade du Bas Rhône chuchotait chaque matin à son passage et Elisa mesurait soudain toute la portée de cet aphorisme de comptoir. La photo avait été prise vingt ans plus tôt dans le Parc de la Tête d’Or déjà, elle et Sandra hurlant leur bonheur insouciant à l’objectif. Elles avaient à dix ans scellé leur amitié par un pacte de sang, « pour toujours » disait le serment… Quelques mois plus tard Elisa avait pourtant occulté Sandra, un oubli pour survivre, effacer ce jour où la sœur de sang avait été retrouvée baignant dans le sien, morte décapitée dans une cage à singes du zoo du parc. Comme pour la première enquête de Dupin on aurait sûrement accusé un singe si les enquêteurs n’avaient retrouvé ces mots près du corps : l’enfant fera un cadavre exquis. Les gibbons omnivores s’étaient d’ailleurs régalés de l’horrible festin. L’enquête, elle, n’avait mené à rien. Aucune piste sérieuse. Un meurtre irrésolu et la résolution d’Elisa : oublier.

Jusqu’à cette soirée démente : on la mettait au défi de relier les faits et d’oser écrire l’histoire de la jeune morte du parc."

© Val Bianco

 

"Il existait forcément un lien entre le meurtre de Sandra et celui de son directeur. Mais lequel ? Elle eut beau se creuser la cervelle, elle n’en trouva qu’un : elle-même. Loin de l’exciter, cette idée lui foutait carrément la trouille. Elle n’avait pas besoin de ça. Elle avait largement eu sa dose d’émotions pour la journée.

Elisa se leva en titubant et regarda par la fenêtre. Il pleuvait toujours autant. Faute de pouvoir s’aérer, elle partit dans la salle de bains et se déshabilla pour prendre une douche, qu’elle espérait revigorante.

Les gouttes d’eau chaude qui s’écrasaient sur son corps lui firent plutôt du bien, sans pour autant avoir l’effet espéré. Elle ne put s’empêcher de ressasser tout ce qui s’était passé depuis qu’elle avait quitté son travail. Le livre, le cadavre, la photo, rien de tout ça n’avait de sens. Rien de tout ça n’avait de place dans sa petite vie de bibliothécaire rangée à la perfection. Et pourtant, elle ne croyait pas au hasard.

Soudainement sa main droite restait en suspens, une lapalissade se manifesta dans son esprit embrouillé. « Bien sûr » s’écria-t-elle. Au même moment, elle entendit la porte d’entrée de son appartement claquer."

© Rudi Meunier

 

"Elle était pourtant sûre de l’avoir fermée à clé en rentrant. Elle se figea, tous ses sens en alerte. Rompant le silence irréel de l’appartement, une voix qu’elle connaissait bien mais qu’elle n’avait pas entendue depuis longtemps s’éleva :
« Elisa, n’aie pas peur, c’est moi, Sandra. »

Il lui semblait que son cœur allait s’arrêter. Ses membres se couvrirent de chair de poule. Elle attrapa son peignoir, s’en revêtit, et pour elle commença un voyage dans le passé qui durerait tout le reste de la nuit. Avec les cheveux bien plus courts et blonds à présent, c’était bien Sandra qui se tenait devant elle, vivante ! Mais qui avait-on retrouvé dans la cage ?

« Sandra, tu es là ! C’est bien toi ?
- Oui, je vais t’expliquer, mais tu es en danger, il va falloir faire vite ! Habille-toi chaudement, nous devons partir tout de suite.
- Mais, pourquoi ? Je n’ai rien à me reprocher, que fais-tu ici, que signifie ce livre et cette photo, qu’est-il arrivé à M. Wiart ?
- Tout est lié à ton passé Elisa. N’as-tu pas remarqué que tous  les gens qui t’entourent disparaissent ? Moi-même, j’ai dû mettre en scène ma propre disparition pour me protéger. Elisa, tu n’es pas la personne que tu crois être… » 

Alors, d’un coup, tout lui revint. Le lien entre tous ces évènements s’opéra."

© Isabelle Raoult

 

"Elle s'habilla sans trop penser à ce qu'elle faisait, Sandra l'aida à prendre les affaires dont elle aurait besoin pendant ce périple.

Elisa groggy entra dans la voiture de son amie retrouvée. Pendant ce temps Sandra lui raconta la mise en scène de « sa mort » qui ne pouvait avoir été réalisée que par un adulte : le passage à la morgue pour trouver un enfant qui correspondait à son gabarit, l'accès au zoo, la décapitation...

Dehors la pluie avait cessé, le jour commençait à poindre à l'horizon.

Elisa observa son amie, le ton grave : « le clochard que je croisais tous les jours était monsieur Wiart ? C'est bien ça ?
- Comment as-tu deviné ?
- Je m'en suis rendu compte lorsque j'ai vu le pied de mon directeur mort. Il avait les mêmes chaussures singulières que ce sans abri. Le corps étendu devant moi avait le même regard d'homme triste que ce SDF. Malgré le déguisement, la crasse, la voix différente, il me paraissait familier. Hélas je ne l'ai compris que lors de notre ultime rencontre. Qui était-il vraiment ? Pourquoi me surveillait-il jour et nuit ? Qui l'a tué ? »

Encore trop de questions en suspens pour Elisa.

Il lui était impossible de regarder son amie lorsqu'elle lui exposait ses déductions, une seule chose l'obsédait : ce livre trouvé dans le parc."

© Sébastien Galais

 

"La voiture engloutissait les kilomètres. Les villes défilaient mais Sandra restait énigmatique sur la destination. Incapable de trouver une signification à ce fichu livre et à bout de force, Elisa sombra dans un sommeil de survie.

Quand elle se réveilla, la voiture était à l'arrêt et Sandra lui caressait la joue d'un geste tendre. Ses yeux clairs et son sourire bienveillant redonnaient vie à un visage oublié pendant quinze ans. Sa gorge se serra : « Pourquoi es-tu revenue ?
- Wiart a repris contact. Je ne lui avais pas parlé depuis le soir où il m'a arrachée à ma famille d'accueil et fait disparaitre dans cette atroce mise en scène. Il a dit que tu étais en danger et m'a donné un protocole à suivre s'il lui arrivait quelque chose.
- Quel rapport avec le livre ?
- Il l'avait laissé sur ton passage pour que tu écrives sur ton passé. La photo devait t'y inciter.
- Quel passé ? Je n'ai aucun souvenir avant la mort de mes parents dans l'explosion de leur usine, j'avais 7 ans !
- C'est pour ça qu'on est là. Suis-moi.

Sandra sortit de la voiture, fit quelques mètres et s'arrêta devant une imposante porte cochère. Elle pointa la plaque de cuivre fixée à droite du digicode. Des lettres gravées indiquaient : Marc Frantz : hypnothérapeute."

© Alain Siméon

 

"Anéantie depuis la disparition effroyable de ses parents, sans moyens d’exitence, placée chez des étrangers où elle fit la connaissance de Sandra, elle n’existait plus. Le meurtre non élucidé de sa seule amie acheva la lente destruction de son passé. Elle s’enferma dans l’anonymat, dans la lecture, seul moyen de passer inaperçue. Être invisible, pour que le sort ne s’acharnât plus sur elle. Et là, devant cette plaque, accompagnée de Sandra ressuscitée, elle serait encore, contre son gré, un pion que l’on pousserait dans un passé qui ne serait peut-être pas le sien.

Elle ne serait plus le jouet de personne. Une sourde colère monta en elle. Elle retrouvait la souffrance. Elle sentit la chaleur des flammes, elle entendit les cris. Elle retrouvait la vie. Sa vie. Tout se bouscula, les flashs de son passé à l’irruption de Sandra dans son appartement, les paroles du clochard Wiart, le livre aux pages blanches. Elle allait leur démontrer que Wiart n’était pas mort pour rien, que ses parents n’étaient pas morts pour rien, que les survivants avaient une mémoire, qu’ils étaient là pour témoigner.

Elle sourit à son amie qui faisait le code. Le moteur ronronnait, elle se faufila sur le siège du conducteur et démarra sous le regard stupéfait de Sandra. Elle allait ajouter un quatrième tome à la trilogie du chevalier Auguste Dupin. Après le sang, l’encre. Et l’encre serait plus meurtière !"

© Nicole Mallassagne

 

"Elle jeta un dernier regard au rétroviseur tandis qu'elle s'éloignait de Sandra. Un étrange sourire sur le visage, elle roulait vite, au rythme des souvenirs qui jaillissaient de sa mémoire.

Sa vie entière n'avait été que mensonge. C'était clair à présent. La vérité éclatait enfin et elle se devait de la dévoiler à tous.

Elle entra sur le parking du commissariat et se dirigea vers le coin le plus sombre, ignoré des caméras. Le moteur coupé, elle resta immobile un instant, le regard vide, le temps que ses pensées reprennent un cours logique. Elle se le devait, elle le devait à M. Wiart et à la petite Sandra qui illuminait mornes journées d'orpheline.

Elle sortit le livre vierge de son sac, prit un stylo et commença à écrire. Jusqu'à la dernière page. Lorsqu'elle referma ce qui était devenu le roman de sa vie volée, elle sourit en pensant à l'ironie de ce livre : quand une vie n'a été que fiction, le livre vient dévoiler la réalité.

Elle sortit de la voiture, le livre sous le bras et entra dans le commissariat."

© Amandine Ermacora

 

"Elisa était assise sur un banc, nerveuse, le livre dans une main. Le commissariat s’était vidé, la nuit était tombée. Un policier s’approcha enfin d’elle. 

- Ça va, on s’est calmée ? fit-il.
- Vous devez absolument lire mon histoire !

La jeune femme voulut se lever, mais son poignet gauche était menotté au banc. Le flic poussa un soupir.

- Non, ça ne va pas mieux, on dirait.

Elisa se mit à crier, elle ne comprenait pas. Que se passait-il ? Pourquoi l’avait-on enchaînée ? L’homme lui expliqua calmement : elle était entrée dans le commissariat voilà deux heures, hurlant qu’il fallait à tout prix lire son histoire, protéger Sandra, retrouver le meurtrier de Wiart, de ses parents. Alors, pour tenter de comprendre, il avait ouvert le livre, l’avait lu. Un bon polar, le meurtre d’un bibliothécaire dans un parc, une héroïne en danger, un sombre passé qui ressurgissait…

- Rien de tout ça n’existe dans la réalité, vous comprenez, madame ?

Impossible ! Elisa feuilleta le livre, stupéfaite : le flic avait raison, tout était imprimé, de la première à la dernière page. Où était l’original ? Qui l’avait dérobé ? Ce lieutenant était-il dans le coup ?

Elisa pensait avoir résolu l’énigme, mais l’enquête allait s’avérer plus compliquée que prévu."

© Franck Thilliez

 

Rendez-vous au festival Quais du Polar à Lyon le samedi 5 avril à 14h30, à l'amphi Opéra, pour une lecture de la nouvelle par Franck Thilliez !

L'aventure du cadavre exquis se termine... Qu'en avez-vous pensé ?

 

 

 

Crédit photo : Léa Crespi

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