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APO de Franck Balandier, un roman qui nous entraine dans les pas d'Apollinaire jusqu'à la Santé

Il faut reconnaître que Franck Balandier a l'art de raconter !

APO de Franck Balandier, un roman qui nous entraine dans les pas d'Apollinaire jusqu'à la Santé

C'est un des magnifiques romans de cette rentrée littéraire ! Nous avons proposé à deux lectrices de découvrir APO, le dernier roman de Franck Balandier (Le Castor Astral).

Après la surprise de la découverte, c'est le bonheur de lire un roman que l'on n'attendait pas, et qui vous transporte à travers le temps et l'espace, dans les pas du poète, alors qu’il est emprisonné à la Santé, la tristement célèbre prison parisienne.

 

 

L’avis de Anne-Marie :

Le facteur m'apporte le  paquet attendu ...je l'ouvre ...je sors le livre... Tiens, sa couverture est  percée en son milieu, comme parfois celle de certains livres pour enfants !  Le trou permet de distinguer un œil. APO ?  Ah oui, bien sûr, comme le confirme la 4e de couverture, il s'agit d'Apollinaire, le poète  soupçonné d'avoir volé un jour la célèbre Joconde ! Et le trou, c'est celui de l'œilleton d'une porte de la prison où il a été incarcéré et qui permet de l'observer. 

APO, cela sonne comme un diminutif, nous devrions alors entrer dans son intimité …

Je feuillette le livre . Des chapitres de longueur variée, entrecoupés de passages en italique et regroupés en  3 parties, ou plutôt en «Zones» comme le titre du poème inaugural du célèbre recueil  ALCOOLS et d'un Epilogue . Chacune de ces «Zones»  correspond  à un lieu d'action et surtout à une durée très limitée: la première, 23 jours de 1911 : ceux du vol et de  l'emprisonnement ; la 2e, 7 jours de 1918 : ceux de l'agonie et de la mort du poète et la dernière …... Surprise ! …..datée du 17 juin 2015 !.

Apollinaire !  Des vers trottent dans ma tête, ceux du Pont Mirabeau, de La Loreley, des Saltimbanques , les images des poèmes-calligrammes apparaissent … Déjà je me réjouis !

Je commence à lire, m'attendant à suivre Apollinaire, à ne pas le quitter, à trouver une évocation délicate des épisodes relatés. Je suis vite surprise, déroutée. Par moments Apo s'éclipse, il quitte la scène ! Un personnage secondaire lui vole la vedette. C'est d'abord le gardien du Louvre dont le sommeil est hanté de rêves érotiques, ce seront aussi plus tard la concierge de l'immeuble d'Apollinaire qui se complaît à raconter aux enquêteurs le mort héroïque de son époux, puis le locataire  du dessus qui les entretiendra des soirées de son illustre voisin et d'un certain catcheur : le Vengeur masqué, et de bien d'autres encore qui viennent interrompre régulièrement tout au long du roman le fil de la narration .

Mais enfin, c'est Apo, le héros, et pas ces bonshommes dont le récit étale les fantasmes sexuels, qui viennent faire leur petit numéro et puis s'en vont ! Ah, le sexe ! Il est souvent présent dans le roman. Serait-il là pour le pimenter ou pour  rappeler qu'Apollinaire est aussi celui qui a écrit Les 11 000 Verges ?

 

Cette alternance entre personnage principal et personnages secondaires, cette succession de récits enchâssés, cette narration éclatée et non linéaire, ça m'agace d'abord  puis ça m'intéresse, mais oui ! Ce schéma narratif s'apparente à la composition des toiles des peintres cubistes amis d' Apollinaire ; celle de la déstructuration du sujet. Et puis, surtout, l'auteur fait naître autour de lui toute une galerie d'individus pittoresques, savoureux, parfois comiques même. Il offre à chacun une individualité, un  passé, des projets, des petits bonheurs, des obsessions aussi. Il œuvre comme un  metteur en scène et crée grâce à eux tout un contexte humain et social , celui du Paris populaire de l'époque.

Il faut reconnaître que Franck Balandier, usant le plus souvent du discours indirect libre, a l'art de raconter !

Sa phrase suit au plus près le rythme de la parole, avec les traits marqueurs de l'oralité : rejets, reprises, accumulations, parenthèses ou digressions. J'avais l'impression que c'était un conteur qui me narrait, à moi, une aventure humaine, en louvoyant, certes, mais en revenant toujours à Apollinaire qu'il observait, non de l'œil froid d'un enquêteur mais d'un regard fraternel.

Car son Apollinaire souffre, d'abord dans la solitude de cette prison mortifère où chaque jour il écrit, seul moyen de briser sa solitude et de faire barrage au désespoir qui le gagne. Plus tard, lors la grande boucherie de 14-18, dans les tranchées, puis au sortir d'une blessure à la tête qui a entraîné trépanation et troubles psychiques. Enfin, en fin de vie, où atteint par la grippe espagnole, la fièvre ronge son corps et altère son esprit.

Alors des bribes de son passé lui reviennent, se bousculent en flashs successifs. Tout se mêle : images de l'enfance, de ses amis artistes. Des femmes aimées, de ses muses : Annie, Marie, Lou, Madeleine, de celles qui ont été fascinées par son état de poète et prises au piège de ses mots. Certains vers de ses poèmes viennent le hanter avant de sombrer dans le silence et la mort.

Je dirai peu des pages finales qui d'un bond nous transportent brusquement en 2015, si ce n'est qu'on y trouve  un écho des premiers chapitres. Je préfère vous laisser le plaisir et la surprise d'en découvrir le contenu, les rebondissements et  toute la poésie qui s'en dégage.

Vous avez deviné que le roman a été pour moi une très agréable surprise.

Je connaissais l'écrivain, celui qui a ouvert une ère nouvelle pour la poésie. Ces quelques jours dans la vie d'Apollinaire m'ont  fait découvrir un homme  poète de son état, qui s'accroche à la douleur et en fait la matière de sa poésie. Ses vers prennent désormais  pour moi une nouvelle dimension.

 

© Anne-Marie Lemoigne

 

L’avis de Mireille :

A l’instar du célèbre poème éponyme, le roman de Franck Balandier est composé en trois zones. Pour la première, le personnage de Wilhem "Kostrowhisky…" selon Georgette la concierge de l’immeuble, Guillaume Apollinaire apparaît sous les traits d’un jeune homme fêtard, frivole, entourés d’amis prêts à relever le défi. Ce soir-là, l’initiateur des vols programmés, Picasso, est absent ; il a choisi d’honorer un rendez-vous galant.

Apo et Gery Pieret se rendent au Louvre et, sans être inquiétés par un gardien vivant ses dernières heures de labeur précédant la retraite, dérobent deux statuettes et "La Joconde" cette femme invitant au désir dans un tableau à la renommée plus grande que les dimensions de son cadre.

Rapidement interpellé, APO franchit le seuil de la prison de la Santé, découvre les conditions de la détention, la solitude et l’ennui. Mélancolique, il se souvient de ses amis, de Marie, il  réfléchit et compose.

Zone 2, c’est novembre 1918, Apo sérieusement blessé échappe à la mort mais contracte la grippe espagnole. A bout de forces, aux portes de la mort, il fréquente encore les terrasses des cafés où « il y est question de frivolités germanopratines  et d’insouciance », un endroit où il peut encore croire à une rencontre improbable…

Enfin, c’est l’entrée en scène d’Elise, jeune étudiante admiratrice d’Apollinaire, qui, par un retour sur le passé, aurait pu réanimer l’Histoire de la courte vie du poète… c’est le secret de la zone 3.

Après quelques pages, je me suis interrogée sur la portée du champ lexical qui me semblait quasi annonciateur d’un opus érotique…. Même si je pense encore que les descriptions de sensualité dévorante des nombreux personnages (gardien, policiers, juge…) n’ajoutent pas forcément de corps au roman, je reconnais qu’elles apportent une certaine légèreté aux moments plus graves de l’histoire.

Mais il y a une autre dimension littéraire dans l’écriture de Franck Balandier. Lorsqu’il parle de Guillaume, à la troisième personne, et de son amour pour Marie Laurencin, les mots sont précis, mesurés pour exprimer les sentiments et les doutes qui traversent la pensée du prisonnier.

"…il était devenu poète pour aimer et se faire aimer. Par les mots, il se faisait aimer. Par ses mots, il charmait. Mais les mots sont volatiles et éphémères. Il n’était plus là. Et Marie, dans d’autres bras sans doute. Voilà ce qu’il pensait… "

Ce style est également prégnant dans le récit des derniers jours d’Apollinaire, la visite de Cendras à son chevet.

Je retiendrai avant tout l’originalité d’un roman fourni, évoquant notamment, outre la personnalité et le destin de l’homme, le milieu intellectuel à l’aube du 20ème siècle, le contexte du pays en guerre, des thèmes enchevêtrés habilement et de façon assez surprenante avec des hommes ou des faits d’une autre génération pour aboutir à un épilogue qui me laissa bouche bée.

©Mireille B

 

Si vous aussi vous avez aimé ces chroniques qui vous ont donné envie de lire APO, n’hésitez pas à suivre Anne-Marie Lemoigne et Mireille B pour découvrir vos nouvelles lectures.

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Commentaires (2)

  • Kryan le 09/10/2018 à 12h50

    Merci pour cette belle et originale découverte!

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  • Gisele Marchand-Magagnotti le 05/10/2018 à 08h12

    La personnalité même d'Apollinaire, le virtuose doublé d'un iconoclaste sentimental et farceur, Franck Balandier a su reproduire et partager grâce à ses connaissances, une intimité profonde et poétique, tout en respectant l'oeuvre incandescente du poète jusqu'à l'enfermement, partager un sentiment d'abandon avec une tendresse teintée d'une réelle mélancolie, un profond désespoir, une descente aux enfers, tout en respectant les accents romantiques. L'incarcération du poète, trempant dans le vol des statuettes, et son rejet physique pour le visage de Mona Lisa la Joconde, vicieuse, invitant au sexe, une débauche annoncée prometteuse, en un rictus explicite aux coins de ses lèvres ... L'auteur a épousé toutes les recherches, en y ajoutant sa touche imaginaire et sensuelle haute en couleurs, en soulignant, ironie du sort, un homme accablé et rabaissé dans son statut de célébrité, condamné au cachot. Le lyrisme, et la fantaisie de Franck Balandier est un véritable régal pour le lecteur.

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