Des ouvrages pour les adultes et les plus jeunes, qui aident à découvrir et comprendre la culture sourde
Le fil de soie grège ne peut être tissé directement. Il faut le rendre plus résistant en le moulinant, c’est-à-dire en lui faisant subir une torsion avant de l’enrouler sur les bobines de moulins rendus plus performants par leur forme ovale. Au milieu du XIXe siècle, cette opération emploie des milliers d’ouvrières en France, dont beaucoup dans la région lyonnaise où on les appelle les ovalistes. Sans qualification, elles travaillent douze heures par jour, sont payées à la pièce bien moins cher que leurs homologues masculins, et comme on les recrute dans les campagnes environnantes et même jusqu’au Piémont, elles s’entassent dans des dortoirs insalubres et surpeuplés, totalement assujetties au strict règlement de leurs « usines-pensionnats ». A l‘été 1869, ces filles illettrées, qui se voient contraintes d’avoir recours à un écrivain public pour exposer leurs revendications, se mettent en grève, réclamant un meilleur salaire et un temps de travail réduit. C’est la première grève de femmes connue. Elle va durer un mois, se solder par des emprisonnements et des expulsions des ateliers-dortoirs, avant que le travail ne reprenne sans aucune avancée significative. Elle marque cependant l’histoire d’une pierre blanche, celle qui inaugure la longue lutte dont les femmes se sont passé le relais jusqu’à aujourd’hui pour l’amélioration progressive de leur condition.
Cette image du passage de relais entre les femmes s’est si bien imposée à l’auteur lorsqu’elle s’est intéressée à la grève des ovalistes qu’elle en a fait le fil conducteur de son roman. Soif d’émancipation, prise de conscience de leur sororité face à la toute-puissance des hommes et des employeurs qui les traitent en « bonnes filles » modestes et dociles : sans violence ni sang versé, avec la seule calme détermination née d’un trop-plein d’injustice et de servitude silencieuse, ces femmes sont les premières, non pas à se révolter, mais à en prendre l’initiative. Ce sont elles qui s’autorisent enfin à ne plus courber l’échine. Et même si elles n’obtiennent pas gain de cause, elles sont des pionnières qui ouvrent à leurs semblables, femmes de leur temps ou des générations à venir, le long chemin du féminisme. Alors, à cette troupe en jupons perdue dans l’oubli incolore de l’anonymat, Maryline Desbiolles a choisi de prêter quatre visages imaginés comme en technicolor, leur redonnant chair et vie en quelques scènes croquées sur le vif, et insistant sur la sororité des femmes par-delà les siècles.
Jonglant avec les mots et les images dans une langue courant comme une rivière en longs rubans de phrases non dénuées de poésie, l’écrivain met l’originalité, probablement clivante, de son style au service d’un roman social et féministe, construit sur un fait historique oublié pour mieux inviter les femmes à reprendre le flambeau de la lutte.
Les sans-grades, les oubliés de l’histoire, les invisibles, ne souffrirons pas de ce statut dans le roman de Maryline Desbiolles, Il n’y aura pas de sang versé. Celui-ci met en scène quatre femmes, Toia, Rosalie Plantavin, Marie Maurier, Clémence Blanc. Elles ont peu de points communs quant au parcours initial de leurs vie, souvent caractérisé par la misère , une souffrance familiale, un manque d’éducation . Pour Maryline Desbiolles, c’est une comparaison sportive qui s’impose pour éclairer et expliciter le sort de ces femmes, et les relier entre elles, celle des relayeuses d’un parcours athlétique . Ces femmes ont en commun d’être des ouvrières ovalistes, lorsqu’elles sont embauchées à différents moments dans les usines textiles de l’agglomération lyonnaise. Leur rôle est de garnir les bobines des moulins ovales et de surveiller la torsion nécessaire à donner au fil grège.
Dans leur parcours, il y a l’espérance d’échapper à la misère, de trouver une vie meilleure, c’est souvent la cause première de l’émigration vers un autre pays : « Toia serait logée, nourrie, à l’atelier, avec d’autres bonnes filles comme elle, des ovalistes on les appelle. » Pour Rosalie Plantavin, c’est le souvenir de sa famille qui lui donne l’énergie indispensable pour survivre dans ce nouveau milieu, impersonnel, mais où elle trouve de l’humanité et du réconfort : « Avec Thérèse, elle va au café, un vinaigre, comme l’appelle Thérèse, où on boit du vin et de l’eau-de-vie. C’est la première fois que Rosalie Plantavin entre dans un café ;(…) Je suis une femme qui tombe, je suis une femme qui boite, je suis une femme qui rit, je suis une femme qui pleure, et de se savoir capable de toutes ces choses la réconforte grandement. »
Au cours de leur participation à la grève survenue en juin 1869, ces femmes se confrontent à la réalité sociale et économique, à l’apprentissage de la rédaction et de la formulation de leurs revendications, ces dernières démarches étant grandement facilitées par l’entremise d’un écrivain public, Monsieur Bosquier.
Même si ces demandes ne sont pas toutes satisfaites à bref délai, c’est une étape qui est marquée dans leurs vies, un point d’ancrage pour l’avenir , une leçon de vie administrée : « Jamais peut-être elles n’auront été autant elles-mêmes que ces jours et ces nuits-là , des mois de juin et juillet 1869 , à parler fort, à être d’accord, à ne pas être d’accord (…) Être soi-même en sortant de soi , consiste à éprouver ce que nous ignorons , une ferveur ? une joie ? la joie et la peur de trahir, les parents ? les patrons ? »
Le récit de Maryline Desbiolles nous plonge avec grand bonheur dans le ressenti individuel de ces ouvrières, dans leur découverte très personnelle de l’émancipation, des conflits sociaux , de la nécessite de l’éducation .Il rejoint ainsi la grande Histoire .
Il n'y aura pas de sang versé, un beau livre, pas véritablement un coup de coeur toutefois.
Sur fond d'histoire ouvrière, l'auteur crée une fiction qui déroule à travers le portrait de quatre jeunes femmes , la vie ouvrière dans les soieries lyonnaises en 1868-1869 jusqu'à la grève de juin 1869, menée par les femmes qui voient finalement leur mouvement confisqué par les hommes,
L'écriture suit le rythme de la course de relais .
Le récit donne vie à quatre jeunes femmes qui sortent ainsi de l'anonymat des 2500 ouvrières ovalistes des filatures, ce procédé rompt la distance temporelle et émeut le lecteur.Le titre souligne la vulnérabilité des femmes , « le sang » est celui de celles qui meurent en couches , de celles qui se blessent dans les ateliers , celui des jeunes filles qui le découvrent apeurées, images à la fois christiques et animales.
Toia, à quinze ans, quitte son Piémont , pour aller travailler dans un atelier de moulinage à Lyon.Elle vivra jour et nuit dans cet atelier, partagera le lit d'une autre ouvrière.
Rosalie, la relayeuse numéro 2 a 30 ans, travaille pour payer la pension de l'enfant qu'elle a eu malgré elle,
Marie Maurier travaille chez Pichat, elle vient de Mieussy, en Savoie.
La dernière coureuse Clémence Blanc est lyonnaise.Son amie ouvrière comme elle Suzette Cordier décède en 1869 à l'hospice de la Charité, l'accouchement s'est mal passé.
Les grèves commencent..,
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