Des ouvrages pour les adultes et les plus jeunes, qui aident à découvrir et comprendre la culture sourde
« Maintenant je dois faire bien attention. Cela commence maintenant. » Voilà ce que se répète Jonathan dans le bus qui le ramène chez lui.
Il se fait la promesse de devenir un homme meilleur, de s’occuper davantage de sa mère asthmatique, de superviser leur déménagement, de retourner travailler dans l’usine à poissons, de continuer à faire les exercices préconisés par le psychologue…
Car Jonathan pense qu’un emploi du temps rigoureusement organisé l’empêchera de récidiver et de retourner en prison.
Or dans son quartier promis à la démolition, où il pensait qu’il ne restait que lui et sa mère, vit une fillette délaissée par sa mère.
Après m’être demandée ce qui pouvait bien se cacher derrière « La tanche », en lisant le résumé j’avoue que j’ai hésité à le lire. Il y a des sujets qui vous hérissent l’épiderme.
Mais assurément je serai passée à côté d’une claque littéraire comme je ne m’en suis pas prise depuis longtemps !
Inge Schilperoord réussit l’exploit d’emmener son lecteur dans la tête d’un homme qui lutte contre ses pulsions sans empathie ni voyeurisme. Elle instaure une tension accentuée par l’atmosphère irrespirable d’une été caniculaire qui trouve son dénouement dans une pluie tragiquement libératrice.
Un premier roman remarquable qui démontre sans conteste une rare maîtrise des mots. D’ailleurs, il faut ici souligner la traduction irréprochable du néerlandais par Isabelle Rossellini.
« Il avait toujours aimé les poissons. Sa mère ne leur trouvait aucun intérêt, mais lui, il les trouvait apaisants. Les cercles lents, calmes qu’ils décrivaient, le glissement de leurs nageoires dans l’eau. Comme s’ils gobaient le temps pour lui, le temps dont il ne savait que faire. »
Alors qu'il est libéré faute de preuve, Julien se retrouve livré à lui même pour suivre son protocole d'exercices en vue de se déprogrammer de son "problème". C'est donc dans la tête de Julien que se passe ce roman.
On sent bien toute l'envie que le personnage a d'avoir une vie normale mais il revient dans sa maison pour vivre avec sa mère asthmatique et diminuée, juste avant un déménagement et juste à coté d'une maman vivant seule avec sa fille livrée à elle même.
C'est un vrai combat intérieur que même Julien en plus du soutien à sa mère, l'envie d'aider cette fillette, la gestion de ses pulsions.
Un roman fort, bien écrit, aucours duquel la tension monte au fil des pages pour un final surprenant.
Jonathan a trente ans et a purgé une peine de prison pour pédophilie. Il va sortir et rejoindre sa mère dans la maison de son enfance pour la dernière fois, le déménagement dans un autre quartier étant imminent. Il a pour tout trésor son manuel et son cahier : il faut suivre les règles conseillées par la psychologue pour ne pas replonger ...
Oui mais il y a un hic : une petite voisine va entrer dans son périmètre vital, c’est elle qui a pris l’habitude de promener Milk, le chien, et elle n’a pas envie d’y renoncer ! Jonathan sait pourtant qu’il n’a pas le droit d’approcher un enfant et tente de se conformer aux règles, mais petit à petit il va glisser vers le néant ...
Le rythme est lent, assez monotone, l’atmosphère lourde des non-dits du fils et de la mère. Une ambiance littéraire pesante, inquiétante, notamment lorsqu’on entre dans les pensées du protagoniste. Jonathan lutte à chaque instant contre ses démons et oui, à ce moment-là, on éprouve une grande compassion pour ce malade qui ne semble plus distinguer les horribles pulsions de la réalité ...
Inge Schilperoord, qui fut psychologue judiciaire sait de quoi elle parle et son roman fait froid dans le dos. Quelle chance peut avoir un pédophile de sortir victorieux de cette bataille contre la maladie ?
Inge Schilperoord est une romancière néerlandaise qui sera présente à Montpellier pour la Comédie du Livre qui, cette année, met les auteurs néerlandais en lumière. Et c’est pour présenter son premier roman, lors d’une rencontre autour des livres, que j’ai choisi de lire "La tanche", sans rien connaître du thème abordé.
"MAINTENANT JE DOIS FAIRE BIEN ATTENTION, se dit Jonathan. Maintenant. Cela commence maintenant. Il posa ses mains tremblantes sur ses genoux et frotta lentement, avec son pouce droit, la phalange de son pouce gauche, pour se calmer. C’était sa dernière matinée de détention." Ainsi commence le roman. Et je ne regrette pas d’avoir, comme d’habitude, délaissé la quatrième de couverture. C’est en effet, uniquement à la page 162 – et ce sera la seule fois – que le mot fatidique est prononcé, le mot qui explique, même si l’on devine la raison de l’incarcération au fil du récit.
Je n’en dirai donc pas davantage sur l’histoire racontée ici, celle de Jonathan, incarcéré et libéré faute de preuves réelles. Il rentre chez lui et reprend sa place auprès de sa mère dans une maison délabrée et en voie de démolition. Il va retrouver sa petite vie étriquée, sa solitude et son usine de poissons. Ne pas connaître l’essentiel permet de savourer la profondeur de l’écriture, la tension qui s’en dégage et donne l’envie à la fois de tourner les pages rapidement tout en souhaitant s’arrêter, craignant le pire. L’atmosphère est étouffante au propre – il fait très chaud tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de la maison – comme au figuré. L’écriture de l’auteure, ses phrases courtes, saccadées, traduisent parfaitement les affres dans lesquelles se noie Jonathan, les difficultés qu’il rencontre à se dominer, à mettre en pratique ce qu’il a appris, à faire "ses exercices".
Même si, dans ce roman, il est question de quelque chose de grave, la romancière se garde de juger, elle se contente de décrire, d’expliquer. La tension est permanente et c’est un exploit de la rendre si réelle avec des mots d’une grande simplicité. "Sentant ses mains se crisper de nouveau, il joignit les extrémités de ses doigts et appuya jusqu’à ce que le craquement de ses articulations lui apporte un peu de soulagement. Il se perdit dans les méandres de pensées troublantes." Alors, il y a bien ici et là, des redites, des actions réitérées et lancinantes, mais elles ajoutent au malaise qui de page en page se fait plus important, plus haletant, plus difficile à supporter. Comme la tanche, qui pourrait lui servir de médicament, ne lui prête-t-on pas des pouvoirs de guérison, et qui petit à petit se laisse couler au fond de l’aquarium, Jonathan lui aussi sombre sans personne pour le comprendre.
J’ai aimé ce roman noir mais utile. Il apporte, de mon point de vue, des éléments qui, loin de permettre le pardon pour les fautes horribles commises par certains donnent au moins quelques explications.
Un premier roman, noir, utile et très fort dont on ne ressort pas indemne.
www.memo-emoi.fr
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