On aime, on vous fait gagner "L’allègement des vernis", le roman du lauréat du Prix Orange du Livre 2023
Voilà. Je referme ce livre et il m’est bien difficile d’ordonner mes pensées et de poser des mots. C’est pourquoi je n’en ferai pas une recension classique, et préfère vous raconter une anecdote récente.
Cette semaine, alors que ma bibliothécaire me tendait ce titre, une dame d’un certain âge à côté de moi, s’est écrié: « Quelle honte ce Goncourt des lycéens. Il y en a marre de ces bonnes femmes, qui ne parlent que de sexe, de viol et d’inceste. À croire qu’il n’y a que ça dans la vie ! ». Je vous épargne ma réponse, bien sentie, mais j’ai entamé ma lecture avec plus encore de détermination et c’est à cette dame que j’ai envie de m’adresser.
Madame, si on parle de « ÇA », c’est que « ÇA » existe encore et encore. Parce que chaque jour des enfants sont violés, dans tous les milieux, par des membres de leur famille ou de leur entourage proche, dans le silence et parfois l’indifférence. Un enfant sur 10 serait concerné et il faudrait le taire ? Ce livre, c’est la parole forte et intelligente d’une victime. Un témoignage essentiel, une réflexion brillante qui devrait vous questionner au lieu de vous agacer. Neige Sinno l’écrit et le prédit « mes propos seront interprétés, déformés, délirés » et vous en êtes la preuve. Dans ce livre, il n’est pas question de sexe, mais bien de domination. Car c’est de ça qu’il s’agit, d’une relation de domination physique et morale d’un adulte sur une enfant, avec des conséquences aussi invisibles que permanentes car victime on le reste à vie.
Je terminerai cette chronique en m’adressant à vous qui me lisez ici, car je doute que cette dame le fasse hélas. Vous qui n’avez pas encore osé ouvrir ce titre, faites moi confiance, faites le. Aucun qualificatif ne me paraît approprié pour le qualifier’ je dirai juste qu’il est indispensable. Pour vous en convaincre, je vous laisse découvrir d’autres posts, d’autres avis, sûrement plus argumentés, mais au final l’important c’est que vous le lisiez. Certains m’ont demandé s’il n’était pas trop dur. Il l’est. Mais bien moins que n’est dur, pour ne pas dire abject, le viol répété d’une enfant, quel que soit son âge.
Et pour terminer je dirai que je suis fière, moi, que les lycéens aient été plus courageux que les vieux membres de l’Académie Goncourt. Fière qu’ils aient fait fi de considérations commerciales. Fière qu’ils aient été touchés par ces mots à la puissance rare.
Encore une fois, lisez-le, et vous saurez à votre tour combien ce livre est important.
De l'âge de sept à quatorze ans, Neige Sinno a subi des viols répétés de la part de son beau-père. Elle a porté plainte à dix-sept ans. Un procès a eu lieu, il a avoué, il a été condamné.
Ce livre, je n'avais pas envie de le lire. Je ne comptais pas le lire. Non parce que le sujet me faisait peur – quoi que – mais parce ce que j'avais l'impression d'avoir déjà beaucoup – trop ? – lu et entendu sur la question de l'inceste ou de la pédocriminalité … Christine Angot, Vanessa Springbora, Camille Kouchner, le podcast de Charlotte Pudlowski entre autres.
Et puis il y a eu le passage de Neige Sinno à La Grande Librairie. En la voyant, j'ai su que je lirai son texte. J'ai été frappée par son regard qui parfois s'absentait, par la douceur posée de sa voix, par la profondeur de ses silences et ses hésitations, par l'expressivité de ses mains qui semblaient soutenir le maintien de son corps.
J'ai ouvert Triste tigre empreinte d'une solennité grave que je n'ai jamais dans ma posture de lectrice, comme dans un état de préconscience du poids des mots qui allaient suivre.
Le fil conducteur du livre peut se résumer à la question du pourquoi elle écrit sur l'inceste. Dans un remarquable sous-chapitre intitulé « Raisons que j'ai de ne pas vouloir écrire ce livre », l'autrice dit qu'elle veut exister pour son écriture et non pour son écrasant sujet. Elle veut « être dans la langue », que son texte soit « esthétiquement valable », tout en affirmant son dégoût à faire de l'art avec son histoire, la faute morale consistant à esthétiser la violence
Triste tigre relève brillamment le défi littéraire. Elle n'y raconte pas, même si par courts passages à la crudité sidérante, elle le fait quand même mais sans brandir sa souffrance en étendard. On est bien au-delà du récit autobiographique même si elle revendique l'impossibilité à s'évader de la première personne, son « couteau pour disséquer le monde, un choix politique et esthétique qui affirme l'union du contenu et de la forme », un outil d'analyse bien affuté qui «arrive jusqu'à l'os ».
Ce qui m'a le plus frappé dans ce texte hybride qui n'entre dans aucune case, c'est à quel point chaque page pense. le lecteur est plongé dans la tête de Neige Sinno, une tête en pleine réflexion, constamment aux aguets pour que sa quête littéraire soit la plus juste, entre distance protectrice et vérités. Chaque page entre en conversation permanente avec le lecteur explorant l'inceste sous tous ses angles et ainsi que les questionnements qu'il engendre, de la carcéralisation de la peine à la prise en charge par la société, en passant par l'intimité des relations familiales ou les répercussions traumatiques à vie pour la victime. Chaque page est également en conversation permanente avec d'autres auteurs – la liste est longue -, et l'analyse proposé est à chaque fois passionnante, notamment celle de Lolita de Nabokov ou d'écrits de rescapés de la Shoah.
Certains passages m'ont marquée par leur singularité, la lucidité et la netteté de la pensée qui les convoquent :
« Je cherche la description précise des faits. Je veux savoir ce qu'il lui a fait exactement, combien de fois, où, ce qu'il disait, etc. Je déteste l'idée que quelqu'un ouvre ce livre et cherche ce qu'on m'a fait exactement, où on m'a mis la bite, et le referme après sans y avoir rien trouvé d'autre que cette bizarre constatation. »
Alors que le monde adulte est plein de zones grises qui sont le terrain de la responsabilité, du choix, du libre arbitre, « l'enfant, lui, vit en noir et blanc. (…) C'est toujours grand ouvert chez un enfant. Un enfant ne peut pas ouvrir ou fermer la porte du consentement. Il n'atteint pas cette poignée. Elle n'est simplement pas à sa portée. »
« Je ne peux m'empêcher d'espionner. Je le faisais déjà quand j'étais enfant pour m'assurer qu'il n'arrivait rien aux autres. J'espionne tout le temps, parfois vaguement, parfois avec plus d'insistance. J'espionne les papas dans les cabines des piscines publiques, les professeurs de collège qui reçoivent dans leurs bureaux. J'espionne mon compagnon. Il sait que je l'aime, que j'ai confiance en lui. Je crois qu'il sait que je l'espionne, et que je ne peux pas faire autrement. Je crois qu'il me pardonne. »
Neige Sinno dit que la littérature ne l'a pas sauvée, juste accompagnée et consolée, éclairée. Moi je peux dire que par son intelligence, sa hauteur de vue, son livre a changé profondément mon regard sur l'inceste.
« Il n'y a jamais de happy end pour quelqu'un qui a été abusé dans son enfance. C'est une erreur et une source d'angoisse que de croire au mythe du survivant tel que nous les décrivent les films américains. (…) Parce que ce n'est pas fini. Ni pour moi, ni pour vous, ni pour personne. Et tant qu'un enfant sur terre vivra cela, ce ne sera jamais fini, pour aucun d'entre nous.
"Triste tigre" est un récit autobiographique sur l'inceste, un témoignage intime mais pas seulement.
L'autrice Neige Sinno en explorant l'inceste sous tous les angles entre en conversation avec son lecteur et cette conversation va bien au-delà du cas particulier. "Triste tigre" est aussi une interrogation sur d'autres auteurs comme Nabokov et son livre "Lolita".
Neige Sinno dit que la littérature ne l'a pas sauvée mais elle voulait que le lecteur lise son livre et partage cette question : Que fait-on avec quelque chose d'irracontable ?
J'ai lu "Triste tigre" bouleversée mais aussi satisfaite que Neige Sinno ait écrit ce livre.
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…
« Il disait qu’il m’aimait . Il disait que c’était pour pouvoir exprimer cet amour qu’il me faisait ce qu’il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l’aime en retour . »
J’ai lu : TRiSTE TiGRE de @neigesinno
@editions_pol .
Prix Littéraire @lemondefr
Prix Fémina @prixfemina
J’avais pas envie de le lire, j’avais peur sans doute de ces mots qui claquent, qui éclaboussent . Qui blessent, déchirants, révoltants . C’est tragique, sidérant, épouvantable . Je pourrais employer tant d’autres adjectifs !…
[ 7 ans de calvaire pour une fillette . Le nouveau mari de sa mère en avait fait son objet sexuel . Alors qu’elle n’avait que 9 ans …]
Il voulait qu’on l’appelle papa pour renforcer notre intimité .
Il disait qu’il y avait de l’amour , qu’il faisait attention à ce que je prenne du plaisir .
Il me disait que c’est grâce à lui que j’étais bonne à l’école , c’était à cause de ce qu’il me faisait vivre que j’étais spéciale, c’est parce que je vivais une expérience hors du commun qui m’obligeait à dépasser les limites .
Des mots comme une tempête . Qui donnent la nausée . Des envies de meurtres . Abîmée par la Vie ! Abîmée pour la Vie ! Vie effondrée ! Coeur volé . Le poids des mots qui chamboulent . Un texte comme exutoire, lucide, sincère, sensible . Le mal est fait ! L’enfance brisée . Elle est victime pas coupable .
[ il disait qu’il m’aimait … ]
Et aujourd’hui comment cet homme, ce monstre, peut il encore être mari et père de nouveau comme si rien ne s’était passé ? Comment ? Je ressens de la honte !.
Une lecture dont on ne sort pas indemne, comme une claque livresque . Un texte haut et fort qui ne peut pas laisser indifférent . D’une force inouïe . Confession d’une enfance saccagée !.
« c’est difficile de faire la beauté avec un truc comme ça , ou d’en faire une force … c’est difficile d’en faire quoi que ce soit … »
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