J'ai mis beaucoup de temps avant d'extraire ce roman de ma pile de livres en attente car, pour ce que j'avais pu en lire, à sa sortie, je savais que ce serait probablement une lecture difficile, qui secouerait et il fallait que je choisisse le bon moment. J'ai bien fait car je suis vraiment...
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J'ai mis beaucoup de temps avant d'extraire ce roman de ma pile de livres en attente car, pour ce que j'avais pu en lire, à sa sortie, je savais que ce serait probablement une lecture difficile, qui secouerait et il fallait que je choisisse le bon moment. J'ai bien fait car je suis vraiment chamboulée.
Je ne ferai pas de résumé car d'autres lecteurs l'ont fait avec talent, avant moi, sur ce site.
Ce roman est admirablement bien construit car il crée une tension, dès le début, qui ne nous quitte pas. Nous sommes en juin 2017, une femme est convoquée au commissariat. Pas plus d'information. Nous faisons ensuite connaissance de la famille Kessler et de la famille Mariani entre septembre 2016 et juin 2017: nous retrouvons la femme au commissariat, c'est Laetitia Kessler et elle hurle de douleur sans que nous sachions pourquoi. Nous repartons cette fois avec Sarah et Orlane de septembre 2016 à juin 2017. Et nous comprenons.
Ce roman traite de harcèlement scolaire à l'issue dramatique et tout le processus qui conduit à ce qu'un enfant ou un adolescent en choisisse un autre comme tête de turc est admirablement disséqué. Ici l'adolescente qui martyrise, Sarah, est une boule de rage : rage contre sa maladie, le diabète, qui l'empêche d'être libre de ses mouvements et dont elle a honte, rage contre ses parents qui ont décidé de déménager contre son gré, rage contre la petite vie pépère qu'elle est condamnée à mener. Alors cette rage, il faut qu'elle s'exprime et ce sera contre Orlane, qui est dans sa classe et qui est si différente des autres, si désemparée, si seule. C'est une façon pour Sarah de se faire mousser, d'être populaire, d'asseoir un pouvoir pitoyable. On assiste à l'engrenage qui se met en place et qui s'accélère au fur et à mesure que les brimades deviennent de plus en plus cruelles car, comme la drogue, il faut toujours en prendre plus pour ressentir quelque chose. Orlane a choisi de ne pas se rebeller mais la situation se serait probablement aggravé de la même façon si elle s'était rebellée. C'est ce qui est terrible : peu importe le comportement de la harcelée, la harceleuse trouvera toujours une raison pour harceler.
Tout cela est rendu possible à cause de la lâcheté de la plupart des camarades de classe, par le "moutonisme" d'autres qui veulent se faire bien voir de l'élève la plus populaire et par la démission coupable du personnel enseignant qui choisit de ne pas s'en mêler, de détourner les yeux.
Tout cela est également rendu possible par des parents qui n'ont rien vu, préoccupés par leurs soucis personnels (placardisation pour l'un, adultère et séparation pour l'autre, voisin menaçant pour une troisième...); mais qui peut vraiment ressentir le mal-être d'une adolescente qui s'obstine à faire comme si tout allait bien, pour ne pas inquiéter sa famille?
Ce qui rend ce roman prenant, poignant, c'est qu'Amélie Antoine alterne les points de vue de Sarah et d'Orlane, le point de vue de la harceleuse et de la harcelée. Au fur et à mesure que Sarah devient de plus en plus cruelle, Orlane se fissure, s'effondre de l'intérieur tout en offrant un visage en apparence serein. Cette lecture m'a noué les tripes, m'a écœurée, car ce genre de drames n'est pas une fiction, le phénomène gangrène les lycées et collèges, amplifié par la caisse de résonance qu'offrent les réseaux sociaux à la haine, au harcèlement. Les média s'emparent des cas ayant conduit au suicide du ou de la harcelée mais il ne faut pas oublier tous ceux qui survivent mais qui resteront marqués à jamais, qui auront du mal à se construire, à devenir des adultes équilibrés, sûrs d'eux, à avoir des relations humaines sereines.
Un roman que les parents, les enseignants et les adolescents devraient lire.
La vigilance est de mise car, comme le décrit fort bien ce roman, il est très difficile pour des parents, même aimants, attentionnés et proches de leurs enfants de déceler le harcèlement scolaire. Les enseignants qui sont au contact des enfants ou adolescents toute la journée sont peut-être plus à même de se rendre compte de ce qui se passe. Belles fêtes de fin d'année.