Passant du coq à l'âne avec désinvolture, lorsque le vieux maître ostendais, brusquement, s'arrêta, puis timidement, s'informa si je savais... Je ne savais rien, je n'avais plus ouvert un journal depuis plusieurs jours. Je fus d'autant plus violemment frappé lorsque Ensor m'apprit la mort d'Erik Satie, n'osant pas y croire, réclamant la preuve dans les journaux ! Ce soir, je t'écris, encore tout bouleversé, poussé par un indicible malaise à te confier ma peine. Je savais cependant que le mal dont souffrait Satie ne permettait plus d'espérer. Des amis parisiens m'avaient plusieurs fois écrit combien, pendant les six mois d'hôpital, le bon Maître avait changé... Je ne puis te dire, cher Ami, combien je suis ému à l'idée que ses paupières plus jamais ne découvriront des yeux ironiques et incisifs, mais bons. Tant de souvenirs se télescopent dans ma mémoire : les deux séjours que l'auteur de Socrate fit en Belgique et pendant lesquels je ne le quittai presque pas, les nombreuses promenades dans Paris, une visite (par hasard !) au musée des moulures du Trocadéro qui fut pour moi la révélation d'un Satie curieux et formidablement érudit, la seconde et sans doute dernière ascension de la tour Eiffel de ce vieux Parisien, un déjeuner fameux - dont Tristan Tzara doit se souvenir - chez le sculpteur Brancusi et puis une belle nuit à la foire de Montmartre avec Henri Sauguet... tant d'autres souvenirs encore dont je ne retrouverai plus l'équivalent.
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