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Manuscrits de guerre

Couverture du livre « Manuscrits de guerre » de Julien Gracq aux éditions Corti
  • Date de parution :
  • Editeur : Corti
  • EAN : 9782714310576
  • Série : (-)
  • Support : Papier
Résumé:

Ce livre est constitué de deux textes qui s'éclairent mutuellement. Les deux manuscrits figuraient sur deux cahiers différents, parmi le fonds important de textes dont, pour certains, Julien Gracq n'avait pas souhaité qu'ils soient publiés avant longtemps. Le premier texte est un Journal, qui... Voir plus

Ce livre est constitué de deux textes qui s'éclairent mutuellement. Les deux manuscrits figuraient sur deux cahiers différents, parmi le fonds important de textes dont, pour certains, Julien Gracq n'avait pas souhaité qu'ils soient publiés avant longtemps. Le premier texte est un Journal, qui commence le 10 mai et se termine le 2 juin 1940, écrit à la première personne. C'est un moment crucial de la guerre puisque, après la fameuse « drôle de guerre » et l'inaction qui a commencé à éprouver le moral des Français, l'offensive éclate, brutale. Le lieutenant Poirier (Julien Gracq) a été affecté sur le front et, avec ses hommes, se retrouvent d'abord le long de la frontière belge puis, soumis à des mouvements et des ordres contradictoires et souvent incohérents. Ce qui fascine dans ce Journal, tenu à chaud, c'est son aspect inéluctable et prémonitoire. Comment, en un temps aussi court, la défaite militaire a-t-elle été aussi rapide et totale. Comment se sont comportés les soldats français, belges, anglais sur ce mouchoir de poche. Comment est-on passé aussi rapidement à une véritable débâcle, les alliés étant encerclés dans la région de Dunkerque (Les Pays-Bas ayant capitulé le 15 mai, les Belges le 28. Seule une partie du corps expéditionnaire britannique et une petite partie des troupes françaises échapperont à l'étau allemand). Ce qui étonne enfin, outre cette description palpable d'une défaite annoncée, c'est l'acuité de la perception, tant des choses de la guerre que des rumeurs qui l'entourent, tant des comportements humains que du cadre où elle se déroule. Le second texte est un récit qui part de la réalité de ces souvenirs pour en faire une fiction, passionnante dans la mesure où l'on voit concrètement comment Julien Gracq passe de la réalité à la fiction (le récit commence le 23 mai) et pourquoi une distance beaucoup plus grande était nécessaire dans le temps, comme dans les circonstances, pour aboutir à la vision plus ample du Balcon en forêt, et non plus comme ici une interrogation sur le basculement des événements et le destin, sensibles dans les trois dernières phrases : « Pour devenir un reître, il lui semblait soudain qu'il ne fallait peut-être pas tant de choses. Non, vraiment pas tant de choses. Seulement trois ou quatre instantanés bien choisis ».

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Avis (1)

  • Parmi les manuscrits légués par Julien Gracq à la Bibliothèque Nationale de France se trouvent deux petits cahiers, un rouge, l'autre vert, frappés de l'image du Conquérant, deux petits cahiers d'écolier qui derrière leur apparente modestie constituent une véritable découverte et un trésor tant...
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    Parmi les manuscrits légués par Julien Gracq à la Bibliothèque Nationale de France se trouvent deux petits cahiers, un rouge, l'autre vert, frappés de l'image du Conquérant, deux petits cahiers d'écolier qui derrière leur apparente modestie constituent une véritable découverte et un trésor tant littéraire qu'historique.

    Ce sont d'abord des découvertes d'une autre facette jusqu'alors inconnue de l'auteur du Château d'Argol et du Rivage des Syrtes puisque ces Souvenirs et Récit nous dévoilent un écrivain autographe et deux écrits relatant des expériences vécues, ce qui jamais ne sera le cas dans le reste de son oeuvre. Ils sont tout aussi précieux sur le plan historique, le Lieutenant Louis Poirier qu'il était alors narrant au jour le jour les trois semaines de sa campagne (10 mai 1940 - 2 juin 1940), jusqu'à ce qu'il soit fait prisonnier par les Allemands dans ses Souvenirs et tentant de saisir l'expérience de la guerre par la fiction dans le Récit en ne retenant que deux jours emblématiques de la "drôle de guerre", les 23 et 24 mai 1940.

    Tout est fascinant dans ces écrits : pris dans la tourmente de la guerre, l'écrivain ne peut s'empêcher d'éprouver un prodigieux intérêt pour les événements et d'en tirer matière à l'observation, à l'analyse et à l'écriture, d'y trouver malgré tout une inspiration rare. "Même dans ces souvenirs si précisément rattachés au quotidien de la campagne, le réel à tout bout de champ fait preuve de sa prodigieuse aptitude à déraper dans l'absurde, à plonger dans la fantasmagorie et à dériver immanquablement vers l'imaginaire, montrant que l'écrivain aussi peut y trouver son bien". Lorsqu'il se retrouve au front, Gracq est encore un jeune homme, professeur d'Histoire-Géographie débutant, officier inexpérimenté et auteur d'un premier roman : "de ces trois voix, c'est celle du soldat qui parle le plus fort, celle de l'historien qui est la plus discrète alors que celle de l'écrivain se fait entendre en contrepoint."

    Et l'on retrouvera dans ses romans cette tension naissant entre une attente exaltée et la menace de l'événement comme si cette expérience ancrée en lui n'en finissait pas de resurgir sous sa plume en des formes différentes. Le point de vue adopté dans les Souvenirs, la forme retenue d'une sorte de carnet de bord nous plonge directement dans le quotidien vécu de la guerre "avec ses corvées, ses fatigues, ses terreurs et ses farces". D'aucuns seront surpris en effet de trouver dans cet écrit un certain humour, une ironie narquoise et corrosive. On remarque aussi une grande sobriété, voire parfois un peu de laconisme dans la présentation des faits, comme si la peur était sourde et les dangers irréels, comme si tout cela n'était qu'une grande et "vraie fantasmagorie", un "jeu de colin-maillard", une aventure intrigante : "curieux comme à ces heures qui devraient être en principe de tension grave et pesante, on vit légèrement - à fleur de peau. Sans penser à rien.", dans "un vague état d'hébétude".

    La "drôle de guerre" est bien là, une guerre où tout semble faux, un simulacre de guerre où chacun fait "comme si" : "rien d'authentique ne sera sorti de cette guerre que le grotesque aigu de singer jusqu'au détail 1870 et 1914". Et par moment, "la guerre s'envole, comme le cerceau de papier qu'on crève (...) et derrière, c'est comme partout."

    Mieux que personne, par sa langue précise et impeccable, par son sens aigu et intense de l'observation et de la formule, par sa lucidité sans concession, par son expérience vécue profondément, ressentie, intériorisée et exprimée, plutôt que de décrire la déroute de 1940, Louis/Julien nous la fait vivre, nous fait attendre, vibrer, frémir, espérer et désespérer, nous engager et nous replier. A travers ses yeux et son esprit, nous sommes nous aussi en campagne, embarquée dans cette "drôle d'aventure". Et avec lui, mains levées, nous crions :"Ne tirez pas, nous nous rendons."

    Le Récit, lui, est court et resserré, deux jours et deux nuits qui donne à la narration son cadre temporel mais pas sa mesure, puisque des digressions de la mémoire et de l'imagination transforme l'enfilade d'événements en "nébuleuse d'impressions et de faits". Les deux journées choisies sont celles où véritablement la guerre a été pour lui à proximité avec deux épisodes dramatiques, lourdement chargées d'émotion et de sens, dont la description frappe par la véhémence de l'expression, "comme si l'écrivain tentait d'imprimer aux mots la violence des sensations vécues". Et pourtant toujours, malgré la violence, malgré la tension, il y a toujours de l'absurde, de l'irréel, du fantasmagorique, tant "le peu de cohérence de toute cette affaire frappe d'étonnement" et laisse perplexe. La menace est là, latente mais impalpable. Mais "quand on a une bonne fois pris son parti de l'absurde, commencé à respirer dedans - personne ne peut savoir où cela va mener". Et même quand arrive le temps de l'affrontement, se produit "une drôle de collision - qui faisait dans l'esprit des étincelles peu ordinaires - entre la Débâcle du père Emile et les aventures des Pieds Nickelés"...

    On peut donc légitimement penser que c'est avant tout par sa part d'irréel et de fantasmatique que la guerre est devenue et a pu rester un tremplin pour l'écriture.

    Dans les Souvenirs comme dans le Récit, il est à remarquer que "l'écriture est étroitement ajustée à l'émotion immédiate. Pour une réaction à fleur de peau, la plume trouve spontanément le ton et l'expression juste." Et au-delà même de cet ajustement parfait, de cette adéquation fascinante entre le ressenti et l'exprimé, la plume parvient aussi à se faire poétique et métaphorique, incisive et implacable, magnifiquement littéraire et inspirée. Les mots deviennent capables de retenir le vécu en lui donnant une forme - et quelle forme !

    Et en plus du plaisir et du bonheur inattendus de la lecture de ces écrits jusqu'alors secrets, la présente édition les propose en fac-similé, ce qui permet d'observer l'écriture fine, serrée, régulière de l'écrivain, de constater que le texte a été écrit au fil des mots, avec peu de corrections, tout au plus quelques biffures, quelques suppressions de tel verbe, de telle répétition afin de désencombrer la phrase, de donner au texte l'allure incisive d'un journal de bord. On remarque davantage de ratures vers la fin du manuscrit, avec des phrases et passages entiers barrés, marquant la volonté affichée d'anéantir tout superflu, de resserrer l'expression.
    Julien Gracq n'avait jamais publié ni même mentionné les textes de ce volume. On ne peut qu'être heureux de voir enfin dévoilées et offertes à notre lecture ces pages précieuses, uniques et magnifiques.

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