En cette journée caniculaire d’août 1875, un homme chemine sur le massif de Gargano, région des Pouilles, sud de l’Italie.
Il est à dos d’âne et rumine une vengeance à accomplir, cela le guide jusqu’au village de Montepuccio.
Lui c’est Luciano Mascalzone, il s’arrêtera devant la maison des...
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En cette journée caniculaire d’août 1875, un homme chemine sur le massif de Gargano, région des Pouilles, sud de l’Italie.
Il est à dos d’âne et rumine une vengeance à accomplir, cela le guide jusqu’au village de Montepuccio.
Lui c’est Luciano Mascalzone, il s’arrêtera devant la maison des Biscotti, il a eu 15 ans pour y penser derrière les barreaux de sa prison. Son obsession Filomena Biscotti.
Le lendemain matin la porte s’ouvre et Luciano reprend sa monture. Il n’ira pas très loin, il sera lapidé par les villageois.
La subtilité suprême de l’auteur est de faire que cet homme qui sera « lapidé comme un excommunié » ne le sera pas pour ce qu’il croyait avoir accompli.
« Le sort s’est joué de moi. Avec délices. Et le soleil rit de mon erreur… J’ai raté ma vie. J’ai raté ma mort…Je suis Luciano Mascalzone et je crache sur le sort qui se moque des hommes. »
Neuf mois plus tard Rocco naîtra et quelques jours après sa mère mourra.
« Une famille devait naître de ce jour de soleil brûlant parce que le destin avait envie de jouer avec les hommes, comme les chats le font parfois, du bout de la patte, avec les oiseaux blessés.
Don Giorgio le curé du village n’accèdera pas à la demande des villageois, à savoir la mort de ce bébé maudit. Il le fera adopter par une famille de pêcheurs dans un village voisin, les Scorta.
Rocco continuera la lignée de bandits des Mascalzone et deviendra riche, il épousera la Muette et aura trois enfants : Domenico, Giuseppe et Carmela.
Dans le village les enfants ne doivent pas s’approcher d’eux, seul Rafaele bravera l’interdit.
1928 Rocco a 52 ans revient se confesser à Don Giorgio et lui annonce sa mort, il passe un pacte avec lui.
« Les yeux de Rocco Scorta brillaient de cet éclat dément qui vous faisait croire que rien ne pouvait lui résister. Le vieux curé alla chercher une feuille et coucha sur le papier les termes de l’accord. Lorsque l’encre fut sèche, il tendit le papier à Rocco, se signa et dit : « Qu’il en soit ainsi. » »
Le curé a dérogé un peu à ce pacte qui ruinait la veuve et les orphelins, il logea la veuve dans un maison modeste et il envoya les trois enfants à New York, il les accompagna de Montepuccio à Naples où le bateau devait les amener jusqu’à Ellis Island.
Mais à Ellis Island Carmela fut refoulée car elle avait contracté une maladie à bord. Mais les frères ne laisseront pas leur sœur repartir seule, les Scorta ne se sépareront jamais.
Quand ils reviendront à Montepuccio ils découvriront que la Muette et morte et enterrée dans la fosse commune, le successeur de Don Giorgio n’a pas respecté le pacte.
Ils retrouveront Rafaele et le considèreront comme des leurs.
C’est mon roman préféré de Laurent Gaudé, j’aime suivre la destiné des Mascalzone-Scorta sur plusieurs générations, Rocco raconte, puis Carmela…
L’auteur y insuffle une force épique tant par la construction qui n’a rien de linéaire, par les intermèdes des confessions. Chaque détail a son importance, le lecteur est en empathie et suit cette famille qui passe par toutes les phases des humeurs des villageois, tantôt haïe parce que bandits, puis respectée parce que « Les Scorta sont des vauriens, mais ils sont des nôtres. »
J’aime cet ancrage dans ces terres chauffées à blanc, l’auteur met de l’humanité dans ses personnages, ils nous deviennent familiers.
En dix chapitres comme des actes, découpés en scènes il raconte la Famille non pas chaque membre mais l’entité. Ce qui meut l’ensemble, comment partie de l’opprobre elle en est arrivée là. Marcher tête haute comment y arriver.
De la noirceur à la lumière, il a fallu du silence qui sera levé peu à peu par Carmela vieillissante et qui craint que sa mémoire ne s’efface et que la transmission ne se fasse pas.
Magnifique écriture qui va à l’essentiel avec force et beauté. Une maîtrise parfaite.
Et si chacun suivait ce conseil :
« Que chacun parle au moins une fois dans sa vie. A une nièce ou un neveu. Pour lui dire ce qu’il sait avant de disparaître. Parler une fois. Pour donner un conseil, transmettre ce que l’on sait. Parler.
Pour ne pas être de simples bestiaux qui vivent et crèvent sous soleil silencieux. »
©Chantal Lafon