Une plume vive, des héros imparfaits et une jolie critique de notre société
« Le lac de Grandlieu couve sa ville maudite et quelques miracles dérisoires. Même lorsque les marais sont à sec on retient son souffle, les jambes légères pour que le pied n'y pénètre pas. L'eau tranquille ne s'endort jamais vraiment. On a vu l'Enfant d'Herbauges du côté de la Malsaine, toujours à l'aube ou au crépuscule. C'est ce que le vieux Malgogne raconte du bout des lèvres à qui veut bien l'entendre, avant de partir à la maison de retraite. Et sa main dessine dans l'espace une silhouette en bord de flamme pour décrire le velours rêche d'une peau d'écailles. L'Enfant est voué à une eau plus songeuse que la mort. C'est un orphelin malheureux. La dernière âme d'un fief sans terre ferme revenant formuler quelques reproches à l'endroit de sa mise au monde. Certains l'ont vu près de la Gohelière et sur le levis Les Bonhommes entouré de ses fonds sablonneux, les soirs d'hiver où le vent balaie la surface pour en lever les plis. Et d'autres encore jurent par Sainte-Anne qu'il était perché dans les grands arbres de l'Arsangle et de Saint-Aignan, dont les racines assoiffées baignent toutes entre-elles nouées dans les eaux brunes du lac. On a vu son corps semblable à celui des noyés sous des loques qui semblaient venir d'un autre temps. Nul ne l'a vu vraiment comme on peut voir ailleurs mais tous s'accordent à dire qu'il allait les pieds nus là où de vraies cuissardes eurent été nécessaires. »
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