Enquête sur le chef-d'œuvre "Dix petits nègres", avec Pierre Bayard, que nous avons rencontré
Enquête sur le chef-d'œuvre "Dix petits nègres", avec Pierre Bayard, que nous avons rencontré
Grande fan d’Agatha Christie, j’avais noté depuis quelque temps cet ouvrage dans un coin de ma tête. Il est assez facile et rapide d’en exposer le propos : le personnage que tout le monde croit coupable à la fin du roman n’est… pas le bon ! Le vrai coupable – évidemment connu d’Agatha Christie qui laisse des indices au fil de son récit – prend la plume pour rétablir la vérité ! Mais avant de connaître l’identité de celui qui a berné un nombre incalculable de lecteurs depuis 1939, le lecteur a droit à un résumé des Dix petits nègres (rebaptisé depuis Ils étaient dix). Bien sûr quiconque a lu ce roman policier ne peut en oublier la fin, mais le rappel de la trame narrative est inévitable pour le bon déroulement de cette contre-enquête proposée par Pierre Bayard. Cependant, il ne saurait être question de s’en tenir aux Dix petits nègres. L’auteur – toujours par l’intermédiaire du vrai coupable – se livre à un véritable exposé sur la littérature policière et ses motifs : le passage sur les énigmes liées à un espace clos est passionnant, de même que l’évocation des techniques d’aveuglement du lecteur. Enfin, la vérité nous est dévoilée : le lecteur est invité à adopter un nouvel angle de vue, en utilisant les indices disséminés et en contrant les invraisemblances. C’est indéniablement une belle démonstration. Mais. Parce qu’il y a un mais. Où est-ce que cela doit-il nous conduire ? Doit-on reconsidérer ce que l’on croyait être la vérité depuis des années ? Faut-il simplement le prendre comme un bel hommage à la reine du crime et envisager la solution de Pierre Bayard comme une solution possible mais peut-être également imparfaite ? Pour ma part, j’ai un avis bien tranché sur la question, qui fait qu’en définitive mon sentiment sur l’ouvrage de Pierre Bayard est partagé : j’aime la fin proposée par Agatha Christie, je l’ai toujours aimée, je lui trouve beaucoup de panache et je ne veux considérer que cette fin-là.
Pierre Bayard avait déjà réinterprété « Les dix petits nègres » d’Agatha Christie, il réédite avec « le meurtre de roger Ackroyd » de la même autrice .Dans ce livre, il ne se contente pas de revisiter les conclusions d’hercule Poirot, il nous offre une réflexion plus large sur toute l’œuvre d’Agatha Christie et au-delà, sur les romans policiers en général. L’analyse est tellement riche qu’elle s’apparente à une thèse universitaire sur le sujet, présentant quelques difficultés de lecture.
Aurai-je été résistant ou bourreau ? de Pierre Bayard
Intrigué par l’image de la couverture ou l’on voit un résistant mettre en place une charge explosive sous le rail d’une voie de chemin de fer. J’ai lu ce livre dont la quatrième page de couverture fait état : « Pour quelqu’un de ma génération, né après la seconde guerre mondiale et désireux de savoir comment il se serait comporté en de telles circonstances, il n’existe pas d’autre solution que de voyager dans le temps et de vivre soi-même cette époque. » C’est ce que propose Pierre Bayard dans cette théorie littéraire. Fictivement, nous le retrouvons à l’âge de 18 ans en 1940, ayant fuit Paris, alors élève d’Hypokhâgne « je choisis donc, pour le temps de cette fiction, de m’installer à Royan, en cette région que l’histoire va bientôt rejoindre d’une manière dramatique et où de nombreux destin, dont le mien, son sur le point de se nouer. » Dans ce livre, Pierre Bayard nous interroge sur les notions d'engagement, de soumission de capacité à désobéir en revenant longuement sur l'expérience de Milgam. Dans ces chapitres la question du point de bascule est posée. Qui, permet à certaines personnes de s'insurger, quand d’autres collaborent ? Pourquoi des individus passent-ils à l’acte ? Répondent-ils à un appel de la désobéissance ? Dieu a-t-il quelque chose à voir dans tout cela ? Pierre Bayard inscrit cette réflexion dans un cadre historique, celui de la seconde guerre mondiale et revient plus succinctement sur d’autres conflits le Cambodge, la Bosnie, le Rwanda. Ils convoquent des résistants hors du commun que je vous laisse découvrir en s’interrogeant sur leur engagement. Étaient-ils conscients sur le moment de leur positionnement ? Ou est-ce que leur choix a été considéré a postériori à l’étude des faits. Vous remarquerez également que chaque chapitre de ce livre présente si je peux dire un sous chapitre. Aurai-je été résistant ou bourreau dans un concept de personnalité potentielle ; pour un conflit éthique etc… Chaque propos est illustré par des exemples venant du cinéma : Lacombe Lucien de Louis Malle ; dans le désaccord idéologique, avec l’autobiographie de Daniel Cordier ; dans la peur avec le récit de la Rose Blanche ; dans les cadres de pensées avec la désobéissance du consul Aristides de Sousa Mendes ; dans la bascule, avec le film S21 la machine de mort Khmère rouge de Rithy Panh ; par les autres, dans Sarajevo mon amour du Général Jovan Divjak ; dans Dieu avec le massacre des Tutsis rapportée dans le documentaire sur cinq justes Rwandais intitulé Au nom du Père , de tous, du ciel. Je ne vous cacherai pas que c’est un livre exigeant, qui permet de se situer dans une situation donnée ou imposée. Une belle réflexion, aurai-je été résistant ou bourreau ? Il est toujours aisé de refaire l’histoire lorsque les faits sont passés. Chaque jour l’on peut entendre moi, dans telles situations j’aurai été si, ou j’aurai fait cela. En lisant ce livre les questions que l’on peut se poser et que je me suis posée sont celles-ci : Quelles décisions aurai-je pu ou dû prendre ? Quelles sont les erreurs que j’aurai commises et quel aurait été mon destin si j’étais confronté à de tels situations. A quel moment aurai-je perçu ou non ce point de bascule, qui m’aurait conduit a être résistant ou bourreau ? Je vous invite à lire le livre de Pierre Bayard pour ouvrir sans nul doute ces questionnements. Bien à vous.
Je conseille à la Police Judiciaire d’embaucher illico Pierre Bayard parce qu’avec lui, on peut dire adieu aux enquêtes qui piétinent et aux meurtres non élucidés. Rien ne résiste en effet à la logique implacable de ce prof de littérature. Et quand il s’empare du mythe d’Oedipe, il dépoussière Freud, la psychanalyse et remet en question tous les fondements de la mythologie grecque voire de la Grèce elle-même. C’est dire !
Bon, c’est d’abord l’histoire d’un beau-frère, celui de Bayard, qui achète une maison à Methoni, village dans le sud du Péloponnèse. Il invite Bayard qui se promène ici et là, visite le palais de Nestor, héros de l’épopée homérique et prend soudain conscience d’une chose incroyable : il visite le palais d’UN ÊTRE DE FICTION et ceci n’a l’air de poser de problème à personne. En effet, la Grèce semble être un pays où l’on efface volontiers la frontière entre réalité et fiction. C’est bizarre mais c’est comme ça. Et ça convient parfaitement bien à notre auteur !
Alors, prenons pour des êtres réels les Laïos, Jocaste, Oedipe, Créon et tutti quanti et allons-y !
Le mythe, vous le connaissez. En revanche, ce que vous ne savez peut-être pas ( il faut remonter un peu dans le temps pour le découvrir), c’est qu’après la mort de son père, Laïos est recueilli à la cour du Roi Pélops qui lui confie l’éducation de son fils Chrysippe. Or, Laïos l’enlève, le viole et Chrysippe se suicide. Pélops en appelle donc à la vengeance d’Apollon : si un jour il a un fils, ce dernier le tuera et il fera l’amour avec sa mère. Cette faute originelle a toute son importance : en effet, la future victime (Laïos) a fauté, la victime est AUSSI coupable.
Et notre Oedipe dans tout ça ? Comme vous le savez, cherchant à fuir Polybe et Mérope, ses parents adoptifs qu’il pense être ses parents biologiques, il quitte Corinthe après que la Pythie lui a annoncé ce que vous savez. C’est sur la route entre Delphes et Thèbes qu’il croise Laïos. Le chemin est étroit (Bayard le constate en allant sur la scène du crime), on peut imaginer que Laïos se trouve sur un char, qu’il est entouré d’une escorte (il est roi hein) et précédé par un héraut qui souhaite que la place soit libre. La bagarre a lieu puis le meurtre. Arrivé à Thèbes, il répond aux questions de la Sphinge, épouse sa mère et devient le souverain de Thèbes. Il est heureux, a quatre enfants et certainement repense souvent à ses parents restés à Corinthe. Un fléau s’abat sur la ville, peut-être la peste. L’oracle est sans appel : tant que le meurtre de Laïos n’aura pas été élucidé, rien ne s’arrangera. L’assassin lance une enquête sans même savoir qu’il est LE coupable. (C’est assez génial!)
Or, un tas de choses ne « collent » pas dans cette histoire : comment est-il possible qu’Oedipe SEUL, à pied, ait pu tuer son père, un Roi, protégé par des gardes ? (sans compter qu’il est fort possible qu’Oedipe garde des séquelles (cicatrices, claudication) de la blessure qui lui a été infligée à sa naissance… Et avec ça, il se serait battu vaillamment contre un roi ?
Et parlons un peu de la mère, Jocaste : comment n’a-t-elle pas reconnu son fils aux chevilles percées ? N’avait-il pas une cicatrice bien particulière ?
Pourquoi, alors que Jocaste est morte et Oedipe aveugle, la malédiction semble-t-elle se poursuivre ? Car trois des enfants de Jocaste et d’Oedipe meurent, de même que le fiancé d’Antigone et la femme de Créon. Pourquoi le massacre continue-t-il alors même que la vengeance d’Apollon a eu lieu a priori ? Par ailleurs, pourquoi Oedipe ne meurt-il pas alors ? Pourquoi Apollon, à l’origine de la malédiction proférée contre Laïos, ordonne-t-il, après que sa première prophétie a été réalisée, qu’une épidémie se répande sur Thèbes si l’assassin n’est pas démasqué ? Pourquoi se met-il en colère alors que sa malédiction a eu lieu ?
Bref, dans le fond, a-t-on eu jusqu’à présent une lecture correcte de la pièce ? Ne nous sommes-nous pas fourvoyés dans une analyse erronée (aidés par notre ami Freud qui a vu dans ce texte ce qu’il a bien voulu voir - comme toujours avec Freud….) ?
Et finalement, si Oedipe n’est pas coupable, qui l’est ???
Comme toujours avec Bayard, on se régale. Non seulement, ce texte nous tient en haleine d’un bout à l’autre comme le ferait un roman policier, mais en plus quel air frais ! Franchement, comment avons-nous pu passer à côté d’invraisemblances qui auraient dû nous crever les yeux (ah ah). Les textes de Pierre Bayard sont vifs, intelligents, stimulants, parfaitement rigoureux et tellement drôles. Il a l’art et la manière de semer le doute dans nos esprits et de nous inviter à une relecture d’un texte que nous croyons posséder complètement.
Un vrai délice que je vous conseille très vivement !
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