L’île est vilaine...
"Livres de chevet, livres fondateurs, livres vers lesquels la main et l’âme sans cesse reviennent, livres que ni les années, ni les lectures n’épuisent, livres d’une vie."
Chaque mois, un lecteur se dévoile et découvre un nouveau roman, ce mois-ci : "Inhumaines" de Philippe Claudel
La Revue de Presse littéraire de juin
Une nouvelle / conte contemporain, illustré(e) par Lucile Clerc dont certains dessins montrent ces foisonnements et bouillonnements de la mer agitée, mais aussi des êtres vivants.
Claudel nous plonge dans l’univers des pécheurs, de leurs relations, du rapport à la mer, de la difficulté d’accepter des héritages et de continuer ces vies difficiles, risquées, … mais dont la contrepartie est une forme de liberté, de puissance brute, d’immersion dans la vie.
Il met l’accent sur le rapport père / fils, des rudesses imposées, des admirations, des rejets … dans ce rapport à la mer nourricière mais qui peut aussi prendre les vies.
Attention « divulgachage » ci-dessous :
L’accident du fils va être un moment fort de la nouvelle. Tombé à la mer à cause des éléments déchainés, il est récupéré grâce à la pugnacité de l’équipage … et avec beaucoup de chance. Cette rencontre avec la mort conduit le fils à partir et rompre brutalement avec son père et sa famille … jusqu’au jour où il va revenir.
Un livre qui ressemble à ceux des enfants, avec des illustrations à chaque page, un texte court. Quand je l’ai tenu en mains, le temps s’est envolé. L’ouvrir c’est accepter de tout oublier ce qu’on a l’habitude de lire, d’accepter la découverte et de s’y plonger.
Un texte qui ressemble à un conte, à la fois poétique et réel.
J’ai aimé retrouver la plume incomparable de Philippe Claudel. Il nous transporte ici dans le monde des marins, des poissons et des crustacés, d’un port de pêche, de la haute mer. Violente, sans merci, et nourricière.
J’ai retrouvé l’atmosphère grise de Philippe Claudel que j’aime tant, ici teintée de bleu, de toutes les nuances de bleu.
Ce roman est une palette de couleurs et de mots, une histoire d’hommes, de femmes et d’océan. Un petit bijou à savourer avec les yeux et le cœur.
Avec Crépuscule de Philippe Claudel, nous voilà dans un village d’une province reculée située dans un empire imaginaire qui ressemble un peu à l’empire austro-hongrois, au début du XXe siècle.
L’histoire se déroule en hiver, sous un climat rude, un hiver qui semble sans fin.
Ce village presque arriéré est composé d’une majorité de chrétiens 1378 habitants et d’une petite communauté musulmane qui compte cinquante-quatre âmes, les deux religions cohabitant pacifiquement.
Deux enfants découvrent un cadavre, celui du curé retrouvé la tête fracassée par une pierre. Aussitôt la tension devient palpable…
Le binôme, constitué du capitaine Nourio aux pulsions sexuelles récurrentes et de son adjoint Baraj, deux hommes plutôt mal assortis aussi bien physiquement que moralement, est chargé de l’enquête.
Mais que peut-il se passer lorsqu’un prêtre, celui qui incarne la religion dominante d’un village, un de ses membres éminents, est assassiné ? C’est à cette question que tente de répondre Philippe Claudel.
L’auteur nous offre avec Crépuscule, à la fois un roman policier, un roman psychologique, un roman social, un roman noir, très noir, mais surtout, sous l’aspect d’un roman historique, un roman qui nous parle d’aujourd’hui.
Alors que de l’autre côté de la frontière, se trouve un pays dont la bannière est ornée d’un croissant d’or, bouillonnant de force vive, il est intéressant de voir, comment cet Empire qui commence à décliner, à s’éteindre, va prendre le prétexte de ce fait divers sanglant pour éradiquer de son sein cette petite communauté musulmane, naissante mais active, et la massacrer.
On assiste à la faveur du meurtre du curé, à la montée de la violence, de la haine, dans un engrenage irréversible et on découvre le comportement abject et corrompu du Maire, du Rapporteur de l’Administration, du Notaire, du Conservateur des archives, des trois Maîtres d’école, du Receveur, etc... Une scène de chasse à l’ours particulièrement épique met en avant leur complicité.
Impossible de ne pas voir dans ce mécanisme de la haine qui se met en place et cette recherche de bouc-émissaire des échos avec la période dans laquelle nous vivons, où on instrumentalise certains faits que l’on retourne, détruisant ainsi la vérité historique pour aller dans la direction souhaitée.
Dans Crépuscule, Philippe Claudel ne se borne pas à écrire une énigme policière, il raconte la fabrique d’une contre-vérité, une mécanique millénaire tellement actuelle, à savoir, trouver un ennemi commun, ce qui va souder la communauté.
Comme avec Le rapport de Brodech, La petite fille de Monsieur Linh, Les âmes grises (Prix Renaudot 2003) ou L’archipel du chien, je me suis à nouveau régalée avec la lecture de ce roman magistral et envoûtant, à l’atmosphère terriblement inquiétante, qu’est Crépuscule. De suspens en rebondissements, il m’a tenue en haleine du début à la fin, fascinée par ce questionnement on ne peut plus d’actualité.
Dans ce monde crépusculaire qui est décrit, le texte très visuel de Philippe Claudel permet une magnifique approche des personnages, des animaux et de la nature.
Les personnages sont solidement dépeints et leurs caractères finement analysés.
Si j’ai trouvé trop présentes et répétitives les pulsions sexuelles de Nourio, j’ai beaucoup apprécié son Adjoint, ce géant maladroit et méprisé par son Capitaine, déjà maltraité et moqué dans son enfance, le seul à ne pas courber l’échine, poète à ses heures mais dont les vers s’effacent au fil de leur création…
Crépuscule de Philippe Claudel est une sorte de fable politique, une réflexion remarquable, profonde et troublante, sur la nature humaine et sur la fabrication de la vérité historique.
De ne pas nommer précisément, ni le lieu où se déroule l’histoire, ni l’époque à laquelle elle se déroule, est une manière d’élargir le propos et de le rendre universel, une manière de dire : cela pourrait se passer ailleurs, aujourd’hui ou demain… Inquiétant...
Chronique illustrée à retrouver ici : https://notre-jardin-des-livres.over-blog.com/2023/11/philippe-claudel-crepuscule.html
Il y a parfois des rendez-vous manqués, des lectures qu’on laisse sur le bas-côté, des pages que l’on peine à tourner. Chaque texte n’est pas fait pour nous et parfois la triste réalité vient nous le rappeler. Ces livres que nous voyons partout, encensés et glorifiés, adorés et louangés, nous ne sommes pas obligés de les aimer, ni même de les terminer.
La rapport de Brodeck restera pour moi l’un de ces livres que l’on ouvre avec engouement mais que l’on referme avec empressement. Trop suggestif, trop mystérieux, trop complexe. La plume pourtant si magique de Philippe Claudel ne m’a pas emportée.
Mon avis ne sera peut-être pas le vôtre, tout comme leur avis n’a pas été le mien. Nous sommes tous des personnes singulières et possédons des sensibilités différentes. Voilà l’essentiel que nous devrions chérir.
@lecturesauhasard
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