Etrange récit de souvenirs que celui de Nancy Huston dans BAD GIRL CLASSES DE LITTERATURE, qui dans un discours adressé au fœtus qu’elle fut , déroule pour elle, par vagues successives, le fil de ce que sera son enfance de créature non désirée au sein d’un couple fragile . « Accroche-toi,...
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Etrange récit de souvenirs que celui de Nancy Huston dans BAD GIRL CLASSES DE LITTERATURE, qui dans un discours adressé au fœtus qu’elle fut , déroule pour elle, par vagues successives, le fil de ce que sera son enfance de créature non désirée au sein d’un couple fragile . « Accroche-toi, petite Dorrit » prévient-elle l’ embryon auquel elle a donné ce nom , ( allusion au personnage d’orpheline de Charles Dickens ?) , annonçant par là la vie difficile qui l’attend, racontée sans pathos ni gémissements .
BAD GIRL c’est ainsi qu’elle s’est sentie , quand sa mère a quitté le foyer en délaissant ses deux enfants, une expression déchirante qui traduit le sentiment de culpabilité de la petite fille qui , ne connaissant pas les motifs intérieurs du départ de sa mère, pense qu’elle l’a tellement déçue que celle –ci a fini par l’abandonner . « Bad girl, comment ne pas se sentir nulle quand votre mère vous quitte ?»
CLASSES DE LITTERATURE, parce que Nancy Huston y analyse les activités et des attitudes qui la sauvèrent , qui l’aidèrent à échapper à son destin d’enfant mal aimée, à transcender sa solitude intérieure, à se construire un univers de substitution, des activités qui deviendront le creuset d’où sortiront ses romans
.
Ce sont d’abord, l’habitude , prise très jeune de se raconter des histoires, de se bâtir des scénarios, « tu te parleras à la troisième personne, transformant chacun de tes gestes en une scène et ta vie quotidienne en roman » puis celle de la lecture, « en silence et en secret, grâce à la lecture, des histoires se tissent dans ta tête » ; Il y aura aussi la pratique du piano, «ta classe de piano te sera classe de littérature… tu y acquerras le goût du travail minutieux, patient, maniaque » .
Elle tirera matière de sa beauté de petite fille jolie , puis de jeune femme libérée « ta joliesse sera pour toi une classe de littérature », les attitudes et les propos des hommes qu’elle séduira alimenteront sa création littéraire « tu enregistres leur comportement, certaine de prendre un jour ta revanche en les transformant en personnages . Ecrivant , c’est toi qui auras le dessus, toi qui les manipuleras comme des marionnettes, toi qui décideras quand ils doivent l’ouvrir et la fermer »
Cet ouvrage plein d’émotion , qui traduit les angoisses secrètes de l’enfance, peut paraître au début déroutant par son procédé narratif et par son organisation, car la remontée des souvenirs, par fragments, s’accorde mal avec la rigueur du plan chronologique , mais il mérite qu’on le poursuive tant il est riche par la réflexion qui y est menée sur la famille, sur le rôle de la mère ou de ses substituts, et sur l’écriture comme moyen de résilience.
C’est aussi un ouvrage indispensable à la compréhension de la genèse et des thèmes récurrents de l’œuvre abondante de Nancy Huston