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Marco Lodoli

Marco Lodoli
Marco Lodoli est né à Rome en 1956. Son oeuvre abondante et reconnue ne l'a pas empêcher de continuer son metier de professeur dans un lycée technique.

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    Couverture du livre « Les prétendants ; la nuit ; le vent ; les fleurs » de Marco Lodoli aux éditions P.o.l

    Claude Amstutz de PAYOT sur Les prétendants ; la nuit ; le vent ; les fleurs de Marco Lodoli

    Il est bien triste que Marco Lodoli, l'une des plumes les plus atypiques et originales d'Italie, demeure si peu connu dans les pays francophones. Pourtant cet écrivain, avant la parution de Les prétendants, a déjà été traduit à sept reprises : Chronique d'un siècle qui s'enfuit (P.O.L., 1987),...
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    Il est bien triste que Marco Lodoli, l'une des plumes les plus atypiques et originales d'Italie, demeure si peu connu dans les pays francophones. Pourtant cet écrivain, avant la parution de Les prétendants, a déjà été traduit à sept reprises : Chronique d'un siècle qui s'enfuit (P.O.L., 1987), Le clocher brun (P.O.L., 1991), Les fainéants (P.O.L., 1992), Courir mourir (P.O.L., 1994), Boccacce (L'Arbre vengeur, 2007), Snack-Bar Budapest (Les Allusifs, 2010), sans oublier le merveilleux Iles - Guide vagabond de Rome (La Fosse aux Ours, 2009) déjà évoqué dans ces colonnes.

    Les prétendants rassemble trois courts romans dont les histoires, fort différentes les unes des autres, ressemblent néanmoins à un tableau de famille : La ville de Rome tout d'abord, fascinante et onirique dans La nuit, déjantée et inquiétante dans Le vent, étouffante et mortifère dans Les Fleurs. Ensuite, ces héros des temps modernes - Constantino, Luca et Tito - sont en quête d'un destin capable de les soustraire à une réalité injuste ou brutale, voire d'un lieu où être bien, heureux, en paix avec soi-même et les autres leur semble impossible. Avec une énergie sauvage et désespérée, ils veulent conjurer la mort - omniprésente dans chacun des récits - avec les pouvoirs redoutables mais fragiles qui leur sont propres : l'imagination, les songes, la compassion : «Je ne sais pourquoi j'ai songé aux poissons du fleuve, combien ils doivent lutter face au courant pour ne pas être précipités dans l'eau salée de la mer. Le fleuve les entraîne sans relâche vers l'embouchure, et eux, si petits soient-ils, doivent pousser dans l'autre sens. S'ils s'assoupissent, s'ils rêvent à la paix dormante des lacs entre les montagnes, le fleuve les emporte avec lui, pont après pont, vers la mort salée. L'eau n'offre aucune prise et les poissons n'ont pas de mains pour s'agripper aux rochers, ils n'ont pas de pieds pour se camper solidement dans le sol, ni de maison avec une porte où se barricader, ils doivent nager jour et nuit à contre-courant, et pendant ce temps manger, déposer leurs oeufs et les protéger, essayer de déjouer le fleuve, les bateaux, les pêcheurs, et puis tâcher d'être heureux.»

    Dans La nuit, Constantino est le dépositaire de messages reçus d'un homme mystérieux - puissant, riche, inquiétant - appelé le Fou, qui veut lui offrir rien de moins que le bonheur, au travers de rites de passages, tels la livraison d'étranges colis, les soins à prodiguer à un vieux cheval, l'entretien d'un jardin au coeur d'un territoire inhabité où une sirène le séduit et l'entraîne au pire : «Nous pouvons comprendre les paroles des arbres en fleurs et des animaux blessés, le silence des pierres et la profondeur des sources, aimer sans avoir peur de l'ombre qui soutient la vie puis l'enveloppe, mais c'est déjà la fin.» Sur le thème du paradis perdu, une fable cruelle au lyrisme profond, qui parle de la beauté, du plaisir et de la grâce, «comme la traversée d'un songe qui se dissout dans l'eau qui lave la nuit sur le visage (...) comme si rien n'avait jamais été.»

    Changement de cap avec Le vent : Luca conduit un taxi et assiste, au cours d'une nuit, à une rixe entre trois malfrats et un personnage - homme, femme, travesti ? - surnommé «le martien», qu'il embarque dans sa voiture tel un pantin désarticulé qui perd son sang et dont la vie semble se retirer. Il sait qu'il doit, avec l'aide de ses proches, agir vite pour le sauver. Une course à la montre pour cette histoire aux situations parfois fantasques - dignes d'une cour des miracles - s'emparant de ces protagonistes qui malgré le sentiment d'injustice ou de tristesse qui les taraude découvrent qu'ils ne sont finalement rien de plus, rien de moins «que du vent sur une page.»

    Tito enfin, dans Les Fleurs, quitte son village pour devenir poète. Arrivé à Rome, il attend d'être reçu par le directeur d'une revue littéraire, «La Tanière.» Il attend avec les poésies dans sa besace, au pied de la bâtisse, longtemps, pendant plusieurs années, accompagné par deux marginaux, Aurelio et Morella : «Nous étions tous les trois, nous jetions dans l'abîme d'infinies espérances, pareils aux gamins qui dans une pièce gelée inventent un feu, et qui brûlent des montagnes de désirs pour le maintenir vivant.» Devenu directeur à son tour, il observe de sa fenêtre le jeune homme qui a pris sa place sur le banc et attend son tour d'être reçu.

    Ces trois récits ressemblent à un théâtre de marionnettes dont d'obscurs sages tirent les ficelles : Le Fou dans La nuit, Le Directeur dans Les Fleurs, L'Ecrivain - Marco Lodoli lui-même - dans Le vent, ce dernier pratiquant une autodérision réjouissante : «Au bar, j'ai lu quelques-unes de ses histoires à dormir debout, qui vont de l'avant en clopinant.»

    De très belles pages sur le temps qui passe, le pouvoir créateur, les fables ou l'importance de la poésie jalonnent ces textes qui s'apparentent aux contes, dont on n'a jamais dit qu'ils étaient réservés aux enfants sages : «A quoi ça sert, les poésies ? A maintenir en vie ce que la vie nous promet en vain.»

    Davantage qu'une consolation : une espérance...