Alexandre rend hommage à ce frère, qui l’a terrifié durant toute son enfance. « (…) Je trouvais ça incroyable qu’une chose aussi belle, sauvage et incontrôlable puisse sortir de sa tête"
Cet album est une réussite. L'histoire m'a captivé de bout en bout.
Édouard Roux reprend goût à la vie grâce au talent de Jeanne, sculptrice animalière qui lui façonne un masque pour cacher sa visage défiguré durant la Grande Guerre.
On sent que J-M. Rochette maîtrise son sujet car en plus d’être illustrateur il est aussi sculpteur animalier et peintre. Les dessins simples et les couleurs froides (noir, gris...) collent parfaitement à l'ambiance du récit.
Une véritable ode à la nature, à l’amour et à l'art qui a été élu « Livre de l'année 2022 » par la revue spécialisée LIRE-Magazine littéraire.
Une histoire poignante située au lendemain de la 1ère guerre mondiale.
Notre personnage principal, Edouard, gueule cassé vit reclus et se refuse à retourner dans sa montagne natale, jusqu'au jour où il fera la rencontre de Jeanne.
Elle est sculptrice et sous ses mains, Edouard va retrouver un visage.
En plus d'une grande histoire d'Art et d'Amour, il y est question de reconstruction, de retrouver le goût de la vie, de renouer avec la nature et de ne faire qu'un avec elle.
C'est puissant, déroutant, sauvage.
C'est d'une immense beauté.
La nouvelle bande dessinée de Jean-Marc Rochette commence par une confrontation, celle entre la couverture et la première page, entre un ours – la dernière reine – au sommet des cimes et une plongée dans une prison en pleine nuit, à quelques heures d’une mise à mort. L’histoire oppose l’envie de vivre sur cette terre et la mort qui anime la société des Hommes. Entre les deux, Edouard Roux, soldat des tranchées, dévisagée et sauvée par une artiste. Elle lui redonne un visage, non conforme à la société des Hommes mais qui lui permet de trouver une place singulière sur la terre.
Edouard Roux est un homme en fuite. Il veut se protéger du mauvais air et retourner à l’essentiel. Il aime pleinement Jeanne Sauvage dont le regard se pose sur les beautés de la nature. Elle prend le temps par ses oeuvres de rappeler l’importance des secrets de la nature et de la création. On voit alors les Hommes s’émouvoir mais toujours divisés dans les actes. Là où Edouard montre une certaine radicalité – se réfugier dans les montagnes, prendre de la hauteur pour mieux respirer – ceux d’en bas se perdent.
Dès les premières pages, la tragédie est là. Le parcours d’Edouard est parsemé des drames du siècle, de la guerre à la destruction écologique. Jean-Marc Rochette croque les errements humains animés par le pouvoir, le sentiment d’importance et de suprématie. Face à ce monde aveuglément capitaliste, Edouard Roux est un anarchiste. Il est totalement humain, désireux de savourer, et non profiter, les beautés offertes par le monde. Avec des couleurs subtils, allant du rouge au bleu, en passant par des nuances de gris, l’auteur rend un hommage puissant à la nature, à ses mystères. Le protagoniste lui permet de voyager dans ces paysages trop beaux pour être seulement admirés. La mise en scène montre un sens de l’observation indéniable qu’il s’agisse des animaux, des soirées mondaines ou du ballet de gestes dans l’atelier. Sous l’épée de Damoclès de la mort et des diktats du monde contemporain, surgit l’amour et tout ce qu’il charrie : l’art, le respect et la conscience de l’environnement.
J. M Rochette, dessinateur de la série mythique « Transperceneige », s’était fait rare dans le paysage français. Il a retrouvé l’envie et l’inspiration pour replonger dans le 9ème art en évoquant sa passion des montagnes avec « Ailefroide » son roman autobio-graphique puis « Le Loup ».Voici enfin le nouveau volume de cette trilogie montagnarde : « La dernière reine » qui brasse les époques et les lieux.
« La dernière reine » en effet est construite sur un récit double : d’une part il s’agit d’une histoire d’amour entre Edouard Roux, un colosse gravement défiguré lors de la guerre 14-18 et la sculptrice animalière Jeanne Sauvage qui va lui redonner un visage et de l’autre ce sont des séquences souvent muettes qui remontent très loin dans le temps (-300 000) pour nous faire suivre à travers les siècles le destin des ours du plateau du Vercors impitoyablement chassés par les humains.
Ces deux trames narratives se fondent harmonieusement parce qu’Edouard enfant a assisté au massacre de « la dernière reine », le dernier ours du Vercors (en 1898) et que sa famille entretient des liens privilégiés avec les ours au point que les autres enfants le stigmatisent et le surnomment « fils de l’ours » alors qu’il s’agit simplement d’un enfant sans père. Ces deux récits s’éclairent aussi l’un l’autre parce que la férocité dont l’Homme fait preuve à l’égard des animaux, il n’en est pas dépourvu à l’égard de ses semblables : le roman s’ouvre dans une prolepse sur la condamnation à mort d’Edouard puis, reprenant une chronologie traditionnelle, se poursuit sur sa persécution par les autres enfants et par la boucherie de 14. Jeanne elle -même n’est pas épargnée parce que le milieu de l’art parisien ne va en faire qu’une bouchée …
Milieu de l’art parisien ? Et oui on quitte les montagnes pour un temps lorsqu’ Edouard se rend à Paris pour que Jeanne répare sa gueule cassée et y reste par amour. Et là on découvre une nouvelle facette du talent de Rochette. Il a travaillé durant trois ans à son roman et nous fait découvrir le groupe des 12 (des sculpteurs animaliers) dont le chef de file n’est autre que Pompon le créateur du célèbre ours blanc du Musée d’Orsay et qui connut parmi ses membres Jane Poupelet… le modèle de Jeanne.
On croise aussi Cocteau, Picasso et les artistes de Montmartre et de Montparnasse et puis surtout le peintre favori de l’auteur : Soutine dont on le voyait admirer enfant « Le bœuf écorché » au Musée des beaux -arts de Grenoble dans « Ailefroide ». Il est montré ici comme un poète « qui peint des harengs comme des brassées de fleurs » au contraire de Duchamp qui incarne tout ce que les deux héros ( et leur auteur) exècrent : la marchandisation de l’art.
Autre nouveauté dans cet album : une femme comme héroïne pour celui qu’on accusait d’être viriliste. Modelée sur le personnage réel de Jane cette sculptrice qui créait également des masques pour les gueules cassées, Jeanne répare littéralement un homme déconstruit par la guerre. Pour montrer son importance et son côté Pygmalion, Rochette inverse d’ailleurs les codes habituels de la sexualité dans les scènes d’amour : c’est Jeanne qui l’ausculte, qui demande à Edouard de se déshabiller et qui le sculpte… L’auteur ne s’interdit plus une histoire d’amour et il a raison. Loin d’être planplan ou fleur bleue celle-ci est magnifique et pudique à la fois. C’est d’ailleurs grâce à elle qu’on échappe au pessimisme absolu.
Le graphisme est à l’encan de la narration : certaines planches sont de véritables œuvres d’art au trait puissant et hachuré sublimées par des couleurs numériques lumineuses pour évoquer les scènes de montagne et d’amour. On pensera ainsi aux pages muettes qui montrent en le coucher ou le lever du soleil sur les cimes et instaurent une véritable respiration dans la narration. L’auteur apporte un soin tout particulier également à sa représentation des animaux. Mais l’on trouve dans « La dernière reine » plus souvent des pages sombres ; le noir est omniprésent y compris dans la neige et il envahit même une pleine page. L’artiste joue sur les masses et les ombres pour faire ressentir au lecteur une ambiance de fin du monde et souligner son pessimisme. Il met d’ailleurs en leitmotive dans la bouche de ses personnages une prédiction: « le jour où la dernière reine disparaîtra, alors sera venu le temps des ténèbres » qui constitue clairement un message environnemental désabusé.
Rochette s’est donné corps et âme à son livre au point d’en tomber malade d’épuisement quand il achevait sa dernière page. Mais cela en valait la peine : ode à la nature, avertissement écologique, satire du milieu de l’art parisien, récit historique, merveilleuse histoire d’amour : « La dernière reine » est tout cela et bien plus… c’est un ouvrage clé qui synthétise les thématiques récurrentes de son œuvre. Il déclare lui-même « C’est mon Everest, je ne crois pas que je ferai mieux un jour » : Avec cette œuvre-somme Rochette atteint les sommets. Chef d’œuvre !
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