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Goliarda Sapienza

Goliarda Sapienza

Goliarda Sapienza (1924-1996) est née à Catane dans une famille anarcho-socialiste. Son père, avocat syndicaliste, fut l'animateur du socialisme sicilien jusqu'à l'avènement du fascisme. Sa mère, Maria Giudice, figure historique de la gauche italienne, dirigea un temps le journal Il grido del pop...

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Goliarda Sapienza (1924-1996) est née à Catane dans une famille anarcho-socialiste. Son père, avocat syndicaliste, fut l'animateur du socialisme sicilien jusqu'à l'avènement du fascisme. Sa mère, Maria Giudice, figure historique de la gauche italienne, dirigea un temps le journal Il grido del popolo (Le Cri du peuple). Tenue à l'écart des écoles, Goliarda reçoit pendant toute son enfance une éducation originale, qui lui donne très tôt accès aux grands textes philosophiques, littéraires et révolutionnaires, mais aussi à la culture populaire de sa ville natale. Durant la guerre, à seize ans, elle obtient une bourse d'étude et entre à l'Académie d'art dramatique de Rome. C'est le début d'une vie tumultueuse. Elle connaît d'abord, très rapidement, le succès au théâtre, avant de tout abandonner pour se consacrer à l'écriture. S'ensuivent des décennies de recherches et de doutes, d'amours intenses. Son oeuvre, complexe et flamboyante, laisse les éditeurs italiens perplexes et c'est dans l'anonymat que Goliarda Sapienza meurt en 1996. Elle ne trouve la reconnaissance qu'en 2005 avec le succès en France (près de 300 000 exemplaires vendus) de la traduction de son roman L'arte della gioia (L'Art de la joie, éd. Viviane Hamy). Depuis, ses livres sont redécouverts en Italie. Les éditions Attila conduisent désormais la publication de ses oeuvres complètes.

Avis sur cet auteur (26)

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    Couverture du livre « Destins piégés » de Goliarda Sapienza aux éditions Le Tripode

    Ophelie GAUDIN sur Destins piégés de Goliarda Sapienza

    Le titre « Destins piégés » est-il bien traduit ? On sent plutôt l’idée de « Destins imposés » et cette envie de lutter contre, d’essayer de s’y soustraire tout en étant la plupart du temps écrasé par lui, par le froid symbolique, par la peur, par le sentiment de ne rien valoir, par une lame de...
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    Le titre « Destins piégés » est-il bien traduit ? On sent plutôt l’idée de « Destins imposés » et cette envie de lutter contre, d’essayer de s’y soustraire tout en étant la plupart du temps écrasé par lui, par le froid symbolique, par la peur, par le sentiment de ne rien valoir, par une lame de fond ayant probablement pour nom dépression profonde.

    Ce ne sont pas des nouvelles mais des fragments épars, comme des petits textes d’ateliers d’écriture. Ce sont des jets intimes, bruts, mais travaillés dans le style. Ils sont tour à tour tristes, mélancoliques, angoissés, violents, drôles par l’absurde, absurde tout court. Les thèmes de la souffrance de vivre, la peur tétanisante, l’angoisse, la frigidité, l’inceste (c’est assez clair et terrible – p. 58-59, p.81-84, p.120), le froid et la faim ou l’absence de faim récurrents comme le rejet du monde extérieur / le repli sur soi jusqu’à la dépersonnalisation, l’absence d’enfant, sont le contenu essentiel de cette œuvre. Quelques fragments sont comme de la poésie, voire de la poésie en prose.

    Goliarda Sapienza avait-elle prévu que ces fragments seraient édités ? Pas sûr tant ils sont intimes et comme des essais, des embryons.
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    « Pendant des années j’ai espéré pouvoir dormir. Maintenant je dors depuis des années et j’espère me réveiller, au moins un peu, au moins pour quelques secondes » (p.159)

    « Naturellement je suis retournée au lit. Dorénavant je ne vaincrai plus la peur. Je n’ouvrirai plus [la porte]. Je les laisserai frapper et je garderai ici cette peur qui me réchauffe toujours, même en plein hiver » (p. 113)

    « Il m’est arrivé une chose étrange. En août j’ai ramassé une pierre dans les rochers de Nerano. On aurait dit quelque chose de vivant. Aujourd’hui, en mettant de l’ordre ici sur ma table de nuit, où je l’ai gardée ces derniers mois, je l’ai trouvé morte. J’ai eu peur de la toucher. Elle est là, morte, sans éclat. Je tremble et ne sais comment faire pour la toucher. Je ne parviens pas à la regarder » (p.89)

    « Bien sûr, si je pouvais croire qu’est vrai ce qu’ils disent, j’irais. Mais je n’y crois pas et je préfère rester ici près du piano, à coudre avec maman. « Mais pourquoi n’y vas-tu pas ? Tu vois bien qu’ils y vont tous, vas-y ! » et elle sourit. Mais elle sourit avec la bouche. Pas avec les yeux. Pas avec la voix. Les yeux de maman savent que ce n’est pas vrai, comme je le sais » (p.86)

    « Moi, à la vérité, je voulais seulement dormir et en fait je suis morte. Ou mieux, ils ont cru à ce que je faisais, comme toujours, du reste. C’est comme quand je disais quelque chose, ils me croyaient aussi. Les pauvres, ils croient ce qu’on dit. Il suffi de prendre un air sérieux et de regarder fixement dans les yeux. Ils y ont cru et maintenant ils pleurent » (p. 48)

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    Couverture du livre « Le fil de midi » de Goliarda Sapienza aux éditions Le Tripode

    Ophelie GAUDIN sur Le fil de midi de Goliarda Sapienza

    Goliarda SPAPIENZA crée par ce livre une sorte de récit autobiographique à un moment de sa vie où elle va très mal : la période entre ses 38 et 42 ans. C'est la fin de son histoire d'amour avec Citto qu'elle a rencontré à 20 ans, un amour protecteur où ils déambulaient ensemble dans les rues de...
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    Goliarda SPAPIENZA crée par ce livre une sorte de récit autobiographique à un moment de sa vie où elle va très mal : la période entre ses 38 et 42 ans. C'est la fin de son histoire d'amour avec Citto qu'elle a rencontré à 20 ans, un amour protecteur où ils déambulaient ensemble dans les rues de Rome (ce n'est pas sans rappeler les Certitudes du doute), chacun menait ses projets culturels, leur amour s'étiole, et elle a une brève passion avec un peintre violent qui marque la rupture de tout (vie conjugale, sociale, professionnelle...) et surtout un effondrement psychique.

    La 'première partie' est triste, Goliarda est perdue dans l'espace-temps et tout s'entrechoque : ses débuts au Conservatoire à Rome, ses souvenirs au couvent où elle est caché avec une autre dissidente politique (Jane, l'américaine), sa torture courte mais traumatique pendant le fascisme, sa mère et sa folie (au sens psychiatrique), tout s'emmêle.

    La deuxième partie, la plus conséquente, est une déflagration psychanalytique des années 60 à savoir que tout est lié à l'enfance et le problème est la mère et la femme en général. Goliarda raconte ou invente des rêves, le psychiatre les interprète sans aucune place laissée à la parole de la patiente. C'est stupéfiant et long, agaçant. J'aurais giflé le médecin qui intervient à domicile après la sortie de Goliarda de la clinique (tentative de suicide). Il enlève son alliance, il flirte avec elle, il est écrasant.

    La dernière et très courte partie est merveilleuse : ce médecin qui vrille, qui pense que coucher avec ses patientes est une nécessité pour la prise en charge médicale, sa violence verbale, le sursaut de Goliarda. Il y a des moments très poétiques, cette écriture qui tente d'aller vers la lumière.

    C'est un récit long, difficile, qui est intéressant du point de vue biographique mais qui est mal structuré, mal appréhendé.

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    "Et maintenant aussi ce froid dans le soleil de la fenêtre grande ouverte fait trembler les mots qui se composent en hiéroglyphes sombres de peur, graffiti inintelligibles sans passé ni futur. Personne ne sera en mesure de déchiffrer les signes fermés de cette peur que j'éprouve... personne, ce que je suis en train d'écrire, personne..." (p. 129)

    "Bon, laissons tomber et revenons à cette petite boîte : je la retourne et derrière il y a écrit : Iuzzetta [diminutif de Goliarda] modèle luxe, grandit facilement dans tous les climats pourvu qu'on la nourrisse de caresses et de baisers. Particularités : timidité, orgueil sicilien, larmes faciles, douceur, force physique, distraction, manque absolu du sens de l'argent" (p. 137)

    "L'amour n'xiste pas. Faites moi confiance..." Je lui faisais confiance, mais cet écheveau enfermé dans ma poitrine glacée se faisait plus compacte et me faisait jour après jour de plus en plus mal au thorax... il devait être en fil de fer barbelé.

    "... et je n'eus plus soif ni honte, il venait et quand le soleil du haut de sa plus grande hauteur dominait, incendiant l'air et les couleurs, je me déshabillais et à l'ombre de ses bras de tilleul je me protégeais de la chaleur et de la lumière..." (p. 217)

    " Moi aussi, je marchais, je bougeais mais j'étais en morceaux en un petit tas, sur le sol, au milieu de la pièce... où aller ?" (p. 241)

    "C'était la première voix vivante après trois ans de murmures desséchés par la grêle de haine de la voix de cet homme..." (p. 241)

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    Couverture du livre « Moi, Jean Gabin » de Goliarda Sapienza aux éditions Le Tripode

    Ophelie GAUDIN sur Moi, Jean Gabin de Goliarda Sapienza

    "Moi, Jean Gabin" commence laborieusement et ça démarre quelques pages plus loin.

    C'est lumineux, truculent, horrible l'air de rien. L'écriture est belle, vive, enlevée, rapide, précise sous le soleil de Catane, ville sicilienne violente, mafieuse, dominée par le fascisme.
    Pourquoi Jean...
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    "Moi, Jean Gabin" commence laborieusement et ça démarre quelques pages plus loin.

    C'est lumineux, truculent, horrible l'air de rien. L'écriture est belle, vive, enlevée, rapide, précise sous le soleil de Catane, ville sicilienne violente, mafieuse, dominée par le fascisme.
    Pourquoi Jean Gabin ? Il passe au cinéma, il représente le continent, la modernité, la force et l'obstination dans un monde injuste, celui qu'on va sacrifier en le prenant au piège de l'amour dont il ne se dédira jamais. Goliarda décide d'en fait son modèle.

    Je suppose qu'elle se place comme si elle avait 8-9 ans, dans une fratrie recomposée avec 8-9 frères et soeurs, un père et une mère antifascistes dont l'une, la mère, vit dans sa tour d'ivoire avec ses livres (comprendre son bureau), son père, grand avocat des pauvres ressemble plutôt à un parrain de la mafia employant des "voyous ratés" (sic) et des personnages qu'on ne voudraient pas croiser ne serait-ce que dans la rue (Zoé fait vraiment très peur à errer dans la maison avec sa "miséricorde" / un poignard).

    Goliarda s'élève à la va-vite, au milieu de gens quelque soit leur âge et statut social, elle porte le prénom d'un demi-frère mort et idolâtré qu'on a adapté au féminin alors qu'il n'existe pas, elle est "la picthoune", le "chou", "Iuezza", tout sauf Goliarda... Elle se définit comme matérialiste sans vraiment bien tout comprendre. Ses armes sont sa répartie verbale, une jouteuse hors pairs.

    Tout est violence sans être nommée ainsi, que ce soit dans les mots, les situations, la sexualité qui l'entoure (le frère qui couche avec la soeur, le père qui aime beaucoup l'une de ses belles-filles Licia, etc.), et ce, dans la rue comme dans la famille (Musetta qui rackette et vole tout le monde...).

    C'est un récit presque comme un monologue mais très bien maîtrisé avec les rêves d'une enfant qui essaie de se construire dans ce brouhaha général de la vie.

    C'est vraiment très beau et cruel avec un style unique qui éclaire aussi, par certains côtés, "L'Art de la Joie".

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    Couverture du livre « L'université de Rebibbia » de Goliarda Sapienza aux éditions Le Tripode

    Ophelie GAUDIN sur L'université de Rebibbia de Goliarda Sapienza

    Goliarda Sapienza s'éloigne du style de "L'Art de la Joie" pour un roman-récit plus intime mais toujours avec cette façon de dire les choses comme si elle cela devait arriver, sans jugement ni émotion débordante. Dans l'Université de Rebibbia, j'aurais presque tendance à dire qu'elle a comme une...
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    Goliarda Sapienza s'éloigne du style de "L'Art de la Joie" pour un roman-récit plus intime mais toujours avec cette façon de dire les choses comme si elle cela devait arriver, sans jugement ni émotion débordante. Dans l'Université de Rebibbia, j'aurais presque tendance à dire qu'elle a comme une démarche d'ethnologue en centre pénitentiaire "haut de gamme" pour femmes en Italie. En effet, Rebibbia est une prison moderne pour femmes avec une libre circulation des détenues au sein du pénitencier.

    "L'université de Rebibbia" ou "Manuel de survie dans un microcosme de la société en générale mais sans les règles sociales". Sapienza démarre son écriture, assez sûre d'elle, comme si sa culture, sa maîtrise sociale, son apparence pourrait lui permettre d'être au-dessus du panier et de s'en sortir haut la main. Et ce n'est pas du tout le cas. D'ailleurs, elle dit décider d'écrire sur cet épisode réel de sa vie suite au suicide d'une de ses co-détenues de cellule. Comme si, en se mettant au vert en prison, elle venait de prendre conscience qu'on n'échappe pas à la société.

    Comme d'habitude, rien de descriptif mais de la vie en tant que telle, une réalité qui défile. "Les différences de classe règnent ici comme dehors, insurmontables : la prison est le spectre, ou l'ombre de la société qui la produit" (p.152). On échappe de peu à la violence directe, au massacre d'un visage par un tesson de bouteille, à la drogue par des moyens détournés, à l'envie sexuelle en l'absence d'hommes, à l'amour plus ou moins sain ou malsain, aux rixes, aux "salons de thé" dans les cellules, à la folie du rejet des autres si les règles non écrites ne sont pas respectées, à la dépendance d'aimer la prison pour certaines car plus protecteur et chaleureux que le dehors, etc. Rien n'est vraiment écrit directement mais tout est là, en une phrase, un dialogue...

    Et puis Barbara qui se suicide après une fouille au corps en huis clos par 3 hommes. 4 femmes sorties de nulle part finissent dans sa cellule : suicide. Les détenues diront qu'elle s'est suicidée par amour pour son homme. On pense plutôt à un viol ou un règlement de compte et puis on a finit par comprendre au fil de toutes ces pages qu'on va vite se ranger à la version officielle...

    Poignant, avec une maîtrise de la narration et des dialogues époustouflants et ce, sans mélo ou émotivité. Un livre étonnant et saisissant !