Un roman qui vient de décrocher le Prix FNAC 2023
« Moi, le jour, je suis nul, et la nuit, je suis moi »
Fernando Pessoa que je n’avais pas lu depuis trop longtemps, ce livre présentant divers écrits nous montrent un esprit libre, une critique aiguë face à l’ordre social et ses hypocrisies. L’humour est très présent et opère en puissant désinfectant de toutes les idéologies.
L’auteur écrit et échappe à la monotonie du quotidien, il affûte sa pensée, exerce son esprit critique, et ce n’est pas toujours à fleurets mouchetés.
Ce que j’ai aimé, c’est le sentiment que Fernando Pessoa, écrit comme un véritable artisan ; il ne se regarde pas écrire comme beaucoup de « penseurs » contemporains, son éclectisme est évident.
En filigrane de son œuvre il y a toujours cette pensée que sans l’autre « je » n’existe pas.
C’est aussi le sentiment, voire le malaise, que le moi est une quête perpétuelle, fugace ou percutante, mais qui instaure aussi déséquilibre ou souffrance.
Nous sommes multiples
Et particulièrement, celui qui n’était Personne, ce n’est pas un être solitaire juste quelqu’un qui appréciait aussi la solitude, ses longues marches dans la nuit, étaient l’antidote au jour, et portaient leurs fruits.
La pensée n’existe pas sans les sens, percevoir, ressentir est indispensable pour nourrir la pensée.
« Au beau milieu de mon travail journalier — toujours semblable à lui-même, terne et inutile —, je vois surgir brusquement l’évasion : vestiges rêvés d’îles lointaines, fêtes dans les parcs des anciens temps, d’autres paysages, d’autres sentiments, un autre moi »
Je vais terminer par un extrait savoureux qui montre son humour et son autodérision :
« La calvitie socratique, les yeux de corbeau d’Edgar Poe, et une moustache risible, chaplinesque — voilà en quelques traits aussi forts que précis le masque de Fernando Pessoa. »
La couverture d’Anna Bak-Kvapil est superbe entre sobriété colorée et la fantaisie de ce visage multiple qui annonce bien les écrits de cet écrivain.
Merci à Masse Critique Babelio et aux Éditions Les Belles Lettres pour ce privilège de lecture qui m’a donné une furieuse envie de relire Le Livre de l’intranquillité.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2023/07/23/comment-les-autres-nous-voient/
C’est toujours une bonne idée de lire du Pessoa !
Il y a une grande liberté de ton mais aussi de l’humour, de l’érudition et ses textes sont très enlevés.
Ce recueil peut désarçonner car l’on passe de la poésie à Mussolini, en passant par les Grecs de l’Antiquité.
Il aborde des sujets aussi bien politiques, esthétique, que poétique, il y en a pour tous les goûts mais aussi pour tous les moments de notre âme, que l’on soit nostalgique, ouverts à lire des développements très poussés sur l’écriture ou la condition du portugais.
Il s’agit soit de piocher au hasard, soit en s’inspirant de la table des matières, même si certains titres peuvent donner lieu à des surprises.
Mon premier coup de cœur va tout d’abord à tous ses développements sur les Grecs de l’Antiquité. Il soutient que toute personne héroïque esthétique ou socratique en Grèce Antique est née à la période idéale pour se réaliser, l’idéal profond étant alors « adapté à l’idéal social ».
Je place ci-dessous quelques extraits d’un autre texte :
« Chacun a l’Appolon qu’il cherche, et aura l’Athéna qu’il cherchera. Mais aussi bien ce que nous avons que ce que nous aurons, nous est déjà donné, car tout est logique. Dieu géométrise, a dit Platon. »
« L’art nait de la sensibilité […] l’écho en nous de l’enchantement lointain »
Autre texte qui m’a durablement marqué, « l’homme de Porlock », qui est une anecdote sous forme d’allégorie sur l’écrivain Coleridge interrompu dans sa rédaction d’un poème composé en rêve.
« Tout ce que nous pensons ou sentons vraiment au moment de l’exprimer subit l’interruption fatale de ce visiteur qui est aussi nous ». Il poursuit en expliquant que ce qui survit vraiment de nous ne sont que des fragments mais si « cela avait été serait l’expression de notre âme ».
Mais en vrai j’ai corné beaucoup de pages !
Ce texte était dans la malle pleine des écrits de Pessoa, miraculeusement retrouvée après sa mort.
L’auteur s’adresse aux touristes et nous met entre les mains un guide exceptionnel de Lisbonne qui reste incroyablement d’actualité.
Au-delà de cela, avec une rage de convaincre, il transmet avec une puissance d’écriture remarquable son amour pour la capitale portugaise en en faisant découvrir la beauté des sites et panoramas qui s’offrent aux yeux ainsi que toute la richesse culturelle et historique.
Dans la collection Poche 10/18, une préface signée Rogelio Ordonez Blanco résume l’essentiel de la vie de l’écrivain et en postface, un article de Libé intitulé « Personne à Lisbonne » — Sur les pas de Fernando Pessoa, signé par Antoine de Gaudemar, est riche d’informations sur cet auteur dit « monument de la littérature» qui fut si peu connu du grand public le temps de son vivant…
Si vous aimez Lisbonne ou envisagez de découvrir Lisbonne (+ Cascais et Cintra), ce livre est incontournable et par expérience sur place, suivre les indications qui y sont données est assez bluffant !
Ecrit en 1922, ce petit texte est la seule fiction parue du vivant de son auteur Fernando Pessoa (1888/1935). En à peine quatre-vingt-dix pages, ce "banquier, grand commerçant et accapareur notable" tente de convaincre son ami qu'il est un anarchiste convaincu, quasiment le seul anarchiste en théorie et en pratique, alors que les autres ne le sont qu'en théorie. Mais revenons au tout début de cet ouvrage, délicieux, une formule que je trouve épatante : "La conversation qui s'était alanguie peu à peu, gisait entre nous, morte. J'essayai de la ranimer, au hasard, en faisant appel à la première idée qui me passa par la tête." (p.7) La suite est le raisonnement jusqu'auboutiste, provocant et absurde du banquier. Le résumer ici serait faire injure à Pessoa mais aussi injustice aux futurs lecteurs pour qui la surprise serait moindre.
Le banquier alors jeune homme veut s'affranchir de ce qu'il appelle les "fictions sociales", c'est-à-dire ces chemins tout tracés selon que l'on naît riche ou pauvre, comte ou roturier, homme ou femme, ... Son raisonnement intellectuel d'abord intéressant et purement théorique qui part de la définition suivante de l'anarchisme : "la révolte contre toutes les conventions, toutes les formules sociales, le désir et l'effort de les abolir entièrement..." (p.18) le mènera vers des décisions étonnantes pour un anarchiste. Le refus de toute contrainte et tyrannie sociales le poussera à des questionnements et des réponses aux antipodes de ce que l'on s'attend à avoir dans un discours anar.
Si ce raisonnement peut faire sourire par ses excès, ses outrances, il fait également réfléchir aux discours auxquels nous sommes malheureusement habitués, ceux vides ou dénués de sens de certains politiciens. Je pourrais sourire et me servir de ce texte pour argumenter dans des diners entre amis, car dans ces moments-là je trouve qu'il est drôle de défendre une opinion qui n'est pas forcément la mienne juste pour énerver les copains et boire un coup ensuite. Mais à y regarder de plus près, le texte de Pessoa malgré ses énormités et ses contradictions est plus qu'un amusement de fin de soirée tant il fait appel à des comportements de nos jours ancrés dans les mœurs. Finalement, on frissonne de tant de cynisme, et pourtant ce n'est qu'une fiction... que la réalité, presque un siècle plus tard a rattrapé.
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