
Le nouveau roman de la célébrissime Doris Lessing, Victoria et les Staveney, est encore une charge mordante au « politiquement correct ». Sous des airs presque anodins, comme souvent dans l’œuvre de cette vieille dame pas du tout comme il faut.
Victoria est une jeune fille noire qui a vécu toute son enfance dans le souvenir d’une visite éphémère dans une famille bourgeoise blanche. Orpheline, recueillie par sa tante qui s’éteint à son tour, elle passe à 9 ans une nuit chez les parents d’un camarade de classe quand sa tutrice est hospitalisée. Toute sa vie, elle n’aura de cesse de passer devant cette maison merveilleuse où chaque enfant a sa propre chambre.
On pourrait se trouver en pleine Angleterre victorienne, mais non : Doris Lessing a placé ce drame classique dans un Londres très contemporain. Victoria grandit, et le destin la met à nouveau face aux habitants de la maison de ses rêves. Et face à des choix terribles qu’elle vivra comme une jeune femme pauvre et noire qui doit rester dans sa condition sociale.
Elle a la dent dure, Doris Lessing, et ses 90 ans révolus n’ont pas assagi cette pasionaria des lettres britanniques qui déteste l’hypocrisie, mais aussi refusait d’être anobli par la Reine et recevait le Prix Nobel en 2007 sans l’avoir convoité. Dans ce roman court, écrit trop simplement pour être dénué d’arrière pensée, elle porte un regard aigu et sans indulgence sur la bonne conscience des classes aisées, la piteuse culpabilité des nantis et la bêtise mi-dévouée, mi-résignée des impécunieux.
Elle a choisi pour planter le décor de ce drame sans âge la capitale d’un pays très marqué par les codes sociaux, attentif aux accents et aux extractions. Personne n’est épargné, et surtout pas l’héroïne courageuse et mal née qui incarne à merveille ces femmes des temps passés qui abdiquent la possibilité d’une vie personnelle pour respecter « le bon ordre des choses ».
Karine Papillaud
Victoria et les Staveney, Doris Lessing (Flammarion), 2010