
C’est dans la satire que Marc Lambron excelle. L’auteur de Mignonne allons voir ou de L’œil du silence (Prix Femina 1993) publie ici une amusante épigramme du monde de la mode qui déshabille l’époque avec un voyeurisme réjouissant.
Jean-Louis, un couturier qui ne dit jamais son âge, accepte de donner une interview qui ne paraîtra qu’après sa mort. A la mode de Nothomb dans ses meilleures heures, c’est-à-dire la Nothombd’Hygiène de l’assassin, Marc Lambron restitue le dialogue entre ce sommet de la couture à la française, pervers à souhait, et une journaliste plutôt bien disposée à son égard.
Derrière des noms arrangés, quelques grandes figures de la mode en prennent pour leur grade, égratignés par un Jean-Louis qui ne cesse de faire penser à un certain Karl : de Nello, qui rappelle Valentino, il dit entre autres choses succulentes et saignantes que « tout chez lui a l’air de sortir du salon de l’électroménager, même ses bichons maltais ».
Mais Théorie du chiffon est plus qu’un petit livre désopilant qui décode les emphases et le jargon fleuri de ce nouvel art qu’est la couture. « On choisit souvent des mannequins squelettiques, il faut toujours vendre un peu de danse macabre aux gazettes. Les anorexiques sont les gladiateurs de nos jeux du cirque, celles qui vont mourir vous saluent ».
Le roman raille bien sûr ce nouvel artiste qu’est le couturier, présenté à travers un archétype, mais la mode est surtout un levier pour parler de l’époque où le mot est la cathédrale de l’éphémère.
Marc Lambron commence par la mode et le glamour, mais c’est pour mieux vitrioler ensuite les médias, les classes dominantes et décrypter férocement les rouages sociaux de l’époque. Un exercice auquel ce conseiller d’état-critique littéraire-agrégé de lettres se livre avec un art subtil qui rappelle l’aisance des grands intellectuels des Lumières : d’un autre temps mais toujours terriblement au cœur de l’actualité.
Karine Papillaud
Théorie du chiffon, Marc Lambron (Grasset), 2010