
C’est peut être son plus grand livre, et l’un des plus brefs : en moins de 200 pages, Jean-Pierre Milovanoff parvient dans Terreur grande (Grasset) à raconter la tyrannie stalinienne mieux qu’un brillant essai.
Dès le départ ou presque, le ton est donné. Passé le prologue, on entre de plain pied dans le livre par un dialogue entre deux fossoyeurs d’une petite ville d’Ukraine du Sud. C’est qu’il y a tellement de cadavres en cette année 1937 ! Il meurt 1600 personnes par jour en URSS, 50 000 par mois. Staline a fixé des quotas pour les condamnations de première catégorie, c’est à dire le plus souvent une balle dans la nuque.
Un peu plus loin dans cette même ville mais plus au chaud, le beau et jeune capitaine Anton Semionovitch Vassiliev, d’excellente extraction, se félicite de sa conversion réussie au socialisme d’état. Mais peut être un peu trop tôt, car dans cette époque folle, l’arbitraire qui veut son sang frappe n’importe qui, même les plus protégés. Sa seule issue sera de fuir, sous l’œil d’un narrateur qu’on a bien du mal à dissocier de l’auteur. De tout cela, un héros émergera, figure énigmatique que l’on retrouve dès le prologue discutant avec le père de l’auteur.
Cette famille Vassiliev était amie avec les Milovanoff du temps où la Russie était encore blanche. Né en effet d’une mère française et d’un père russe, Jean-Pierre Milovanoff a raconté le sort de ceux qui, à l’inverse de son père, n’ont pas voulu fuir la Russie au moment de la révolution bolchevique. A partir de documents d’époque, il a retracé la folie inouïe d’une époque, telle qu’un romancier n’aurait jamais osé l’inventer. « C’est trop gros », dirait le lecteur indigné.
Et pourtant. Comme l’écrivait Zinaïda Hippius dans son Petrograd, an1919 (ed. Interférences), l’URSS de Lénine à Staline a été le lieu des pires horreurs, où exécutions arbitraires, violence gratuite, famine et misère extrême, infligées de façon quasiment désinvolte, étaient le lot commun. Dans Terreur grande, la voix de Milovanoff se retient de juger ou de crier. Mais chacune de ses phrases vibre de l’écho d’une souffrance ancienne, profonde, historique.
Karine Papillaud
Terreur grande, Jean-Pierre Milovanoff, Grasset, 2011