
Officier de l'ordre des Arts et des Lettres, prix du livre Inter en 1991 pour son premier roman, La Voyeuse interdite et prix Renaudot 2005 pour Mes mauvaises pensées, Nina Bouraoui, est une auteure plébiscitée par le public et la critique.
Son œuvre, habitée par ses tourments est sculptée à la lame de ses souffrances et de ses questionnements, finement, subtilement et avec une grande justesse.
Standard, son quatorzième opus, rompt avec l'autofiction et met en scène un homme si ordinaire qu'il en devient standard.
À trente-cinq ans, Bruno Kerjen vit seul dans un petit appartement à Vitry et travaille chez Supelec, porte d'Italie. Employé modèle, qui refuse les promotions, il est satisfait de la sécurité de l'emploi que lui procure cette entreprise de composants électroniques. Il y a été recommandé par l'un de ses clients, une aubaine pour fuir le café familial et sa Bretagne natale. Échapper à ce destin enfumé, à ses souvenirs de lycée et de Marlène.
Mais un jour, sa mère l'appelle en pleine nuit : son père vient de mourir. Une triste nouvelle qui ne le bouleverse, ni le soulage et le ramène pour quelques jours à Saint-Servan pour s'occuper des formalités et de sa mère, maintenant veuve.
Il retrouve le bar-tabac que tenait son père, et Gilles, son vieux pote de lycée.
La vie se poursuit fade, insipide et sans saveur, ponctuée des voix de ces femmes au téléphone qui permettent à ses plaisirs solitaires de s'exprimer.
Mais un jour, sa vie bascule, pas brutalement, doucement, insidieusement : Marlène est de retour au village. Gilles l'a vue, lui a parlé. Elle se souvient de Bruno, et lui est hanté par le souvenir de cette beauté insolente qui racontait au lycée ses conquêtes masculines et se rêvait un avenir de star. Elle n'est plus blonde platine, mais toujours aussi belle "Je peux te dire que ça lui va bien le noir, ça fait ressortir ses putains d'yeux bleus, c'est un truc de dingue (…)", lui raconte Gilles.
Cet étonnant roman nous entraîne dans la chute inexorable d'un anti-héros d'aujourd'hui, qui très tard et sans y être préparé se décide à aimer naïvement celle qui le rendait fou d'amour "(…) elle l'avait déjà chopé avant même de la revoir, il était déjà perdu avant même de la retrouver, il saignait avant même d'être blessé, et c'était bon."
Une chute rapide, puisqu'il faut attendre plus de la moitié du roman pour que la rencontre ait enfin lieu. Une longueur qui participe de l'impatience du lecteur… à l'instar de celle de Bruno. Et le talent de Nina Bouraoui opère encore et toujours, qui nous fait attendre la promesse de la quatrième de couverture, avides d'assister à la dégringolade de Bruno. Ce quadra qui repeint les tâches de son plafond, se rase le crâne, rêve de Marlène et essaie tant bien que mal de satisfaire les pulsions de son bas ventre.
Standard, Nina Bouraoui, Flammarion, (2014)
Agathe Bozon
Je ne prends pas trop de risques en disant que ce livre augure un excellent moment de lecture. Je le mets en tête sur ma liste des livres à lire.