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Rififi politique dans la France des Gilets jaunes

Avec "État de nature", Jean-Baptiste de Froment signe un roman énergique qui convoque l'actualité à chaque instant

Rififi politique dans la France des Gilets jaunes

Lâchez un certain nombre de personnages aux profils bien marqués sur l’échiquier d’une région, et regardez la manière dont les places s’occupent et les forces s’affrontent.

Ce n’est pas la recette du parfait roman de politique-fiction, mais l’enjeu d’un formidable premier roman, Etat de nature (Aux forges de Vulcain), dans lequel on retrouve condensés les grands axes d’une politique française contemporaine friable et déclinante.

 

Ne cherchez pas le roman à clefs, enfin pas trop, dans ce road trip politique écrit par un ancien conseiller de Nicolas Sarkozy ! C’est aujourd’hui ou demain, ça se passe en France mais pas sous l’égide de nos institutions, les personnages évoquent davantage les grands mythes de l’histoire que les technocrates qui nous gouvernent : bref, une uchronie bien campée où les femmes, les caciques vieillissants et la fin d’ « un ancien monde » sont mis au premier plan. Pour une fois, et ça repose, l’unité de lieu ne sera finalement pas Paris, mais la Douvre, une région fictive qui ressemble à la Creuse, et où vont s’emboîter les engrenages d’une vie politique à l’heure où population comme technocrates semblent demander le renouvellement des règles.

Une jeune femme ambitieuse, Barbara Vauvert, va se retrouver à la fois la proie et le prédateur, l’objet et le sujet de magouilles politiciennes opérées par deux hommes politiques vieillissants, flanqués chacun d’une cour. Le premier, Claude, surnommé le Régent, porte le nom de l’empereur et sa figure marmoréenne. Il est en quelque sorte le premier ministre de celle qu’on appelle la Vieille, présidente de la République française depuis au moins trois septennats, et aimerait bien que son heure sonnât et que la vieille dégageât. La Vieille, femme âgée et aveugle, amoureuse des pigeons parisiens, ressemble à un « antique pâtre grec, une sorte d’Œdipe impuissant à avertir les hommes ». Pas tout à fait ce qu’on imaginait en terme de woman power.

 

L’autre est plus dionysiaque, un élu local puissant, Farejeaux, qui n’a de cesse de déboulonner la statue d’albâtre de ce Claude qu’il trouve déconnecté du peuple. Ajoutez à cela l’agent double, Jean-Pierre Barte, figure de l’opportuniste décomplexé, dont la faculté à jongler lui assure une réversibilité vestimentaire proche de la perfection ;  mais aussi le zadiste prof de philo, déchiré par des antagonismes familiaux dignes des meilleures tragédies antiques, que cornaque une jeune gorgone ambitieuse, le vrai deus ex machina du livre.

Enfin, l’héroïne, la pièce maîtresse, moteur des appétits de cette galerie de personnages, blonde, très chevelue, désirable dans tous les sens du terme, mue par une énergie hors du commun et l’amour des gens, et un destin qu’on choisira pour elle.

La pièce est prête à être jouée. Etat de nature n’est pas un nouveau précis à la Machiavel, un traité de politique camouflé dans le gant d’une fiction, même si quelques moments sont l’occasion d’une véritable réflexion sur ce qu’est la politique : « commander est en fait un acte de désobéissance pure », dira la Vieille, et « dans l’échelle de l’imposture, qui mène à toutes les charges et à tous les honneurs, c’est le premier degré qui est le plus difficile ». Etat de nature est un roman vivace, un page turner qui marche à côté, juste à distance de caméra de notre époque et qui transforme la matière politique, déjà féconde en fictions, en véritable matière romanesque.

L’actualité est ainsi convoquée à chaque instant dans la tête du lecteur. « En politique, le danger ne vient pas d’en haut, ni d’à côté (…). Il vient d’en bas, de la jeune pousse dont on ne se méfie pas. Et lorsque les tendres bourgeons ont cédé la place aux dures mâchoires de la plante carnivore, il n’est plus temps de réagir », dit Claude, rappelant à sa manière la situation vécue par un récent président de la République, doublé, par la droite et par la gauche, par un fringant poulain dont il ne s’est pas méfié.

 

"Des gens normaux qui partent complètement en vrille"

 

Les personnages d’Etat de nature s’en donnent à cœur joie tout au long du livre. Les petits complots s’entremêlent, les médiocrités s’enchevêtrent, les courtisans déploient tous leurs talents pour leur candidat. La Douvre devient le laboratoire d’une France qui n’est ni celle des métropoles, ni celle des banlieues : si l’on a pu prêter à Houellebecq, et à tort, une prescience du phénomène des gilets jaunes dans son dernier roman, c’est dans le texte de Jean-Baptiste de Froment qu’on en trouve la trace la plus probante, quand il évoque « des gens sans histoire, des gens normaux, des gens qui (…) ne brillent vraiment pas par leur originalité (…) qui, tout d’un coup, passez-moi l’expression, partent complètement en vrille. Du jour au lendemain, ils refusent d’obtempérer. Ils refusent de se plier à la moindre consigne, de quelque autorité qu’elle vienne ». Reprenant alors le grand thème français de l’homme ou la femme providentielle, le voilà qui met en scène l’émergence d’une Jeanne d’Arc 2.0 en la personne d’une Barbara dont les angles d’évocation choisis par l’auteur, évoquent davantage une publicité pour un shampooing que l’engagement d’une walkyrie de la chose publique. Chacun de ces personnages semble improbable, il n’en est que plus réaliste.

 

Jean-Baptiste de Froment a dû lire et relire Chateaubriand, mais il ne commet pas l’erreur de charger son texte d’une réflexion pontifiante et empesée. Exit les considérations générales et la psychologie, la philosophie est ici digérée par l’observation d’une politique en action. Ses animaux politiques sont saisis dans leurs mouvements, leurs stratégies et leurs ridicules. Son texte a l’énergie des romans du XXIe siècle et la patine des romans d’ambition romantiques. Une lecture vigoureuse, drôle, profondément désespérée aussi.

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Commentaires (4)

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