
« C'est le grand frère de toute une génération qui l'appelle familièrement « Lolo » et qui a le sentiment d'avoir grandi avec lui », résume le DJ Rone, dans la préface de « Rêves syncopés », consacré à Laurent Garnier, par la scénariste Mathilde Ramadier et le dessinateur Laurent Bonneau. Présent aux frémissements de l'acid house à Manchester en 1987 et aux balbutiements de la scène de Detroit, le pionnier indéboulonnable de la techno française est toujours capable, à 50 ans, de délivrer des prestations de plus de cinq heures derrière les platines.
Il y a dix ans, avec l'aide de David Brun-Lambert, journaliste de Radio Nova, Laurent Garnier faisait paraître son autobiographie, « Electrochoc », chez Flammarion – récemment rééditée en version augmentée. Dans « Rêves syncopés », le voilà personnage principal d'un ouvrage au croisement du biopic graphique et d'une anthologie fantasmée de l'électro. Le titre ne doit rien au hasard, tant le récit hoquète à travers le temps et l'espace, entre Paris, Detroit et Berlin, une longue interview de Garnier faisant office de fil rouge.
Une interprétation graphique exceptionnelle.
En s'appuyant sur la description de scènes très précises – le premier DJ set, un lendemain de cuite, une déambulation nocturne… – la narration évite le ton docte pour donner une image impressionniste, vivante du sujet. Mais ce qui frappe le lecteur, au-delà de la rythmique du découpage, c'est l'esthétique du dessin.
L'utilisation du pastel et du lavis, en fondant les personnages et les espaces, permet de reproduire visuellement toute une frange des sensations physiques propres à la culture club : ressentir profondément les vibrations, partager la communion du DJ face à la foule ou même la texture du beat. Par son style, Laurent Bonneau arrive parfaitement à « fantasmer le son ». Il s'autorise toutes les audaces comme consacrer des pages entières à des mosaïques spatiales pour décrire un morceau, ou de figurer le « bruit blanc » par un danseur atrophié.
Au détour d'une page, Laurent Garnier dévoile son leitmotiv : « Rester curieux, sans sombrer dans la nostalgie ». Ce roman graphique réussit pourtant le grand écart entre les deux postures : satisfaire les nostalgiques d'une « grande époque » mythifiée de la techno et piquer la curiosité des jeunes branchés d'aujourd'hui.
Rêves syncopés, Mathilde Ramadier et Laurent Bonneau, éd. Dargaud, (2013)