
Universelles, les histoires que raconte Éric-Emmanuel Schmitt, touchent les enfants et bouleversent les adultes dans plus de 50 pays, par delà les cultures et les religions.
Rencontre avec un dramaturge, nouvelliste, romancier et réalisateur émouvant de sincérité et de simplicité.
Quand avez-vous ressenti la nécessité d'écrire et surtout l'envie d'être lu ?
J'ai pris conscience que j'écrivais alors que j'étais en seconde de lycée. Avec le club théâtre, nous venions de monter Antigone. À notre professeur qui réfléchissait à une autre pièce je proposai "Je reviens la semaine prochaine avec une pièce !". Une parole qui me révéla à moi-même. La semaine suivante je revins avec le premier acte de ma première pièce, "Grégoire ou pourquoi les petits pois sont verts ?". Lorsque qu'elle fut jouée, l'enthousiasme du public m'émut.
Vous avez un jour dit écrire en pensant à vos grand-mères. Pouvez-vous nous expliquer ?
Mes deux grand-mères, qui ont dû quitter l'école à quatorze ans pour travailler, lisaient beaucoup. D'ailleurs pendant les quinze dernières années de leur vie j'étais leur pourvoyeur de lectures. Elles étaient intelligentes mais pas cultivées. Moi qui ai eu la chance de pouvoir faire des études, je ne veux pas trahir le milieu d'où je viens par une écriture savante et écris pour que mes lecteurs soient portés par la narration. Mais il faut en même temps que mes amis y trouvent leur compte, car je ne veux pas non plus trahir le milieu où je suis. Il faut donc que mes histoires aient du sens.
Monsieur Ibrahim, Oscar et la Dame Rose, Odette Toulemonde, les enfants.... Dans vos récits la philosophie est portée par des gens simples. Pourquoi ?
Nous faisons tous de la philosophie et notre quotidien est traversé de questionnements philosophiques. La fiction, permet d'aborder la philosophie au sens antique et étymologique, c'est-à-dire pour l'amour de la sagesse.
Alors que les adultes, devenus des idéologues, sont dans la réponse, les enfants sont dans la question. Ils se révèlent de véritables héros philosophiques qui s'étonnent et se servent de leur raison pour comprendre et non de leurs certitudes.
J'ai été professeur de philosophie pendant cinq ans à l'université et ai vécu une expérience pédagogique très instructive avec des enfants de sixième auxquels on m'avait demandé d'enseigner la philosophie. Un peu sceptique, j'ai toutefois accepté. Et à mon grand étonnement, j'ai eu avec ces enfants de onze ans de vraies discussions philosophiques, nourries d'un questionnement spontané et d'une grande pureté dans l'interrogation. Ils ont été une de mes sources d'inspiration pour le cycle de l'invisible. Il y a une dignité philosophique de l'enfance.
Comment réussissez-vous à voir le bonheur dans les situations les plus dramatiques, sans jamais sombrer dans le mélo ni le pathos ?
Pour moi la légèreté est une morale. Il faut en finir avec la lourdeur, sans pour autant avoir peur des émotions, car seule l'émotion peut déplacer des frontières intérieures par la voie de l'empathie. Notre époque est triste et cultive la tristesse en se construisant sur le mode du manque, alors qu'on peut vivre en cultivant le plein.
Par ailleurs, aborder des sujets graves n'oblige pas à être grave. Tout comme être heureux n'est pas supprimer le malheur, mais l'accepter pour aller vers sujets graves en en tirant l'amour de la réalité.
Après avoir écrit La secte des égoïste, vous avez déclaré avoir longtemps eu peur du roman et de la liberté qu'il permet. Pouvez-vous nous expliquer ?
C'est vrai. Et chaque roman m'apprend comment je dois l'écrire. Ce n'est pas moi qui décide, c'est le sujet qui règle le sablier de l'écriture. J'ai mis longtemps à le comprendre. D'ailleurs on est enseveli de romans qui ne font pas leur vraie taille, soit trop longs soit trop courts par rapport au sujet. Ainsi pour La Part de l'autre, je pensais écrire un petit livre de 150 pages, il en exigea 500 ! Le sujet a décidé pour moi.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier roman La Femme au miroir qui met en scène trois femmes à trois époques différentes ?
Je suis fasciné par le fait que chaque siècle produit une manière d'accepter une femme différente pour mieux la broyer. Le baiser de Juda en quelque sorte. La femme est toujours étiquetée : la mère, la putain, la religieuse… mais aucune étiquette ne couvre la réalité d'une femme. À travers ces trois femmes, c'est la même femme qui cherche comment aimer et vivre. J'ai voulu écrire et décrire le portrait de l'éternel féminin.
Propos recueillis par Agathe Bozon
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