Ce n’était pas là qu’on l’attendait : Cécile Guilbert l’essayiste, Prix Médicis 2008 pour sa réflexion sur les écrits de l’artiste Andy Warhol, Warhol spirit (Grasset), fine connaisseuse de Sade, Debord, Sterne, Saint-Simon; Cécile Guilbert, donc, est aussi bien l’auteur d’un récit bouleversant, intime. Une sorte de séisme à Saint-Germain-des-Prés, où l’on est avant tout une étiquette intellectuelle.
Réanimation raconte comment le mari de la narratrice, prénommé Blaise dans le livre, déclenche une cellulite cervicale, maladie aussi foudroyante que rare. Une opération en urgence, douze jours de coma, des soins incessants, et un homme devenu gisant sous les yeux de son amoureuse. Il a juste 50 ans, il est artiste, ils s’aiment depuis vingt ans. Elle est plus jeune et vient de publier son livre sur Warhol pour lequel elle évolue dans une promotion médiatique étourdissante. Cécile Guilbert a attendu que passent quatre années avant de s’atteler à l’écriture de ce récit. « J’étais terrorisée à l’idée d’ennuyer le lecteur, car, au fond, il ne se passe rien dans cette histoire, constate-t-elle. Il fallait que l’énergie porte l’écriture pour que le livre prenne sens».
A l’aide du journal de bord qu’elle a tenu pendant ce calvaire sentimental, elle se replonge dans son état d’esprit d’alors. Dans une langue où aucun mot n’est laissé au hasard de la phrase, elle transforme patiemment son histoire en fiction, déjouant les pièges impudiques de l’autofiction qu’elle exècre, pour accomplir une ode au puissant amour qui la relie à son époux.
Avec vivacité et sans pathos, elle raconte l’angoisse, le manque, la peur de la mort, mais aussi l’espoir, la famille souvent décevante, toutes ces choses évidentes et uniques à la fois qui assaillent chacun quand l’état d’un proche dépend des mains de la médecine. Le livre est un subtil mélange entre des émotions universelles et une réflexion aiguë sur cet état particulier du corps inanimé. « La maladie anoblit, commente Cécile Guilbert. C’est une zone à part, un moment de vulnérabilité, une nudité qui apparaît autrement que dans le corps habituel ». Avec une sensibilité toute en pudeur mais sans fards, la narratrice appelle la culture des anciens, les mythologies grecque et égyptienne, mais aussi le conte de fées, pour essayer de définir l’énigme du coma, cette vie sans vie. « Le mot de « réanimation » concerne aussi bien le service hospitalier que l’état de la pensée, de l’amour, dans ce livre. J’ai eu envie d’écrire cette histoire parce qu’elle finit bien. Parce qu’il y a aussi quelque chose d’une réanimation littéraire ».
Cécile Guilbert était l’auteur d’un premier roman publié en 2000, Le Musée national (Gallimard), dont elle énumère volontiers les défauts. Ce nouveau texte de fiction, plein, humble, bouleversant, a déshabillé la brillante essayiste pour mettre au jour un écrivain, un vrai. Et c’est plutôt rare, à Saint-Germain-des-Prés.
Karine Papillaud
Réanimation, Cécile Guilbert, Grasset, (2012)