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Qu’en est-il du rêve américain ?

Rencontre autour d’un livre avec Lauric Henneton, sur fond d’élection présidentielle américaine

Qu’en est-il du rêve américain ?

Pas un film qui ne sorte actuellement et qui ait la force dramatique de l’élection présidentielle aux Etats-Unis. Tout le monde en parle en France, c’est devenu un sujet national et une formidable fiction qui s’écrit sous nos yeux.

Sur lecteurs.com, on s’est dit que cette histoire « live » valait bien d’être appréhendée comme un roman. C’est à travers un ouvrage collectif, Le Rêve américain à l’épreuve de Donald Trump (Vendémiaire), dirigé par Lauric Henneton, que l’on vous propose d’ouvrir le grand roman américain contemporain.

Lauric Henneton est un universitaire passionnant, agrégé d’anglais et docteur en civilisation du monde anglophone, spécialiste de l’histoire et de la politique américaine et anglaise. L’ouvrage collectif qu’il dirige articule quatre grands thèmes, le travail, l’égalité, la puissance, l’espace, autour des contributions minutieuses de seize chercheurs. Chaque angle fourmille de détails, sans être indigeste pour autant, et débouche quelques ombres : l’on s’aperçoit qu’à penser tout connaître de ce pays, on n’en embrasse pourtant souvent que la surface.

Entre deux télés et trois interviews radiophoniques, Lauric Henneton a trouvé le temps de répondre à nos questions, tandis que la victoire de Joe Biden n’est toujours pas confirmée.  

 

- En 2017, vous publiiez La Fin du rêve américain ? (Odile Jacob) avec un point d’interrogation déterminant dans le titre. Cette année, vous dirigez l’ouvrage collectif Le Rêve américain à l’épreuve de Donald Trump (ed Vendémiaire). Comment répondez-vous à la question posée il y a trois ans ?

La question posée il y a trois ans est toujours valable et le sera encore dans quatre ans : si le rêve américain peut s’interpréter comme une image internationale, Trump fait le constat d’une Amérique bafouée à qui il veut redonner le statut d’une Amérique respectée par ses adversaires et ses ennemis. C’était son pari en 2016. L’est-elle davantage aujourd’hui ? On ne peut pas l’affirmer et c’est l’objet de ce dernier livre.

Vous insistez sur le point d’interrogation et en effet, il est important. Tout le monde ne s’accorde pas sur la définition du rêve américain. Elle est floue, variable. Du point de vue de l’ouvrier blanc, est ce que le rêve américain des années 50 et du plein emploi est de retour ? Dans le détail de la Rust Belt désindustrialisée, la reprise est en trompe l’œil : bien sûr, des usines rouvrent, mais elles sont majoritairement robotisées et les emplois créés sont hautement qualifiés.

 

- Quand on évoque le rêve américain, de quoi parle-t-on, hors les images de drive in, du pavillon de banlieue, de la musique, et des réfrigérateurs des années 60 ?

Vous venez d’énumérer des éléments matériels et nostalgiques, de prospérité ou d’aisance. Mais pas la richesse. Quand on demande aux Américains leur conception de l’American dream, ce sont les aspects immatériels qui viennent avant tout : vivre une vie satisfaisante, dans un accomplissement de soi qui ne s’accompagne pas forcément de la fortune, avoir une retraite confortable sans se soucier de l’avenir, et surtout, vivre sa vie comme on l’entend. On est loin de la façon dont nous le voyons depuis l’Europe et de notre regard fantasmé sur l’Amérique.

 

- L’American dream des Américains est finalement assez proche de ce que tout citoyen a envie pour lui-même, en quoi est-il spécifique ?
On retrouve les dimensions universelles que sont la liberté ou le fait d’être accepté pour ce qu’on est et comme on est, quelles que soient la couleur de peau, l’orientation sexuelle, en dehors des contraintes sociales et sans discrimination à l’embauche.

La spécificité américaine, notamment dans l’œil des étrangers et des immigrants, c’est la notion de terroir. Les Américains ne la comprennent pas pour le vin mais sont les premiers à croire à l’exceptionnalisme américain. Le rêve est américain, pour les migrants de toutes époques, car les E.-U. sont l’endroit où les choses deviennent enfin possibles. Les Siciliens de 1900 auraient pu immigrer à Marseille ou en Allemagne, mais ils ont choisi les US. Parce que dans l’imaginaire collectif, il y a cette promesse qu’aux Etats-Unis, les choses seront différentes.
La promesse n’est pas un rêve opposable, c’est une aspiration, l’espoir peut être déçu. Ellis Island n’est pas un point de non-retour, il y a des rémigrations à toutes les époques. En 2000, quand on interrogeait les Noirs sur le rêve américain, ils étaient plus pessimistes qu’aujourd’hui. C’est exactement le chemin contraire pour les Blancs. Sans doute en raison du caractère prospectif de ce rêve : les Noirs sont toujours dans un élan pour conquérir ce rêve quand les Blancs, qui sont plus favorablement arrivés à l’accomplir, ont plus à perdre et redoutent qu’on les en dépossède.

 

- L’élection telle qu’elle se déroule bat en brèche l’opinion selon laquelle Trump était une erreur dans l’histoire des Etats-Unis…

Oui et c’est une grande leçon, dont les Démocrates devraient tenir compte. Rien ne sera simple après l’élection : la présidence Biden pourrait être très empêchée, les Démocrates ne sont pas sûrs d’avoir le Sénat. Pendant deux ans, le statu quo législatif est à redouter : le Sénat risque en effet de freiner les nominations du gouvernement Biden. Les principaux ministres sont aussi validés par le Sénat. On sait déjà que la candidature d’Elizabeth Warren au Trésor sera fermement retoquée par McConnell. Le président Biden n’aura pour solution que de gouverner par décrets et par régulation ministérielle. C’est barbant, des directives, ce ne sont pas de de grandes et belles lois, symboliques et médiatiques, mais la gouvernance du pays sera tout de même assurée. Sans compter que les Etats peuvent avoir des normes plus ambitieuses que celles qui seront imposées au niveau fédéral.

 

- Quelle est la marge de manœuvre intrinsèque d’un gouvernement et donc d’un président dans une configuration d’Etat fédéral comme les E.-U. ?

L’Etat fédéral n’a pas la main sur l’éducation ni la police, par exemple. Ça se joue au niveau du comté ou de la municipalité pour la police, et de l’Etat pour l’éducation. C’est ainsi que le président des Etats-Unis endosse un rôle symbolique et rhétorique, qui peut s’avérer très wishfull thinking, comme on a pu le voir avec la pandémie de la covid. Sa stratégie, qui consistait à ne pas généraliser le port du masque et maintenir les libertés individuelles, a placé la survie de l’économie au-dessus des contingences individuelles. Le déterminant principal à cette stratégie, on le sait, était de garantir sa réélection, elle-même conditionnée par le bon état de l’économie.

 

- En quoi la Covid 19 a pu être un facteur dans la réélection ou la chute de Trump ?

Eh bien ça dépend. Cette question ramène à une notion centrale qui est celle de l’identité partisane qui oriente de façon diamétralement opposée la façon de voir le monde. La perception du monde, donc de l’économie, est soumise à l’identité partisane de l’observateur, et change selon la personnalité du président. Les Démocrates ont jugé la gestion covid catastrophique. Pour les Républicains, il a au contraire bien géré au niveau national alors que les Démocrates se sont plantés dans les Etats qu’ils dirigeaient.  


Il y a eu des Etats très touchés au début et épargnés par la suite, mais aussi l’inverse. Les Républicains ont privilégié la sauvegarde économique, quoi qu’il en coûtât en vies humaines. Les Démocrates ont fait le choix inverse. Mais les choses ne sont pas aussi séparées et davantage intriquées qu’on ne le pense : ce sont les Etats qui décident s’ils ouvrent ou non les écoles mais comme ils ne génèrent pas suffisamment de revenus, ils sont tributaires du gouvernement fédéral pour leur marge financière.

 

- Vous suivez particulièrement l’actualité de la Géorgie, en tant qu’universitaire. Cet Etat a pris une importance toute particulière ces derniers jours.

Oui, et pourtant l’élection se joue rarement en Géorgie. J’avais discuté avec un sondeur avec qui j’avais un léger désaccord, je voyais la Géorgie plus susceptible de basculer que le Texas, et lui l’inverse. Contre toute attente, cela a été la Géorgie. Ce qui est encore plus intéressant cette année, c’est que non seulement les scores en Géorgie sont serrés pour la présidentielle, mais les deux sénatoriales iront au 2e tour en janvier, ce qui est très rare.  L’enjeu est colossal, des millions de dollars seront déversés en Géorgie d’ici janvier, la minute de pub va être très chère sur les chaînes de télévision locales ! On saura alors si les Démocrates arrivent d’extrême justesse à obtenir une majorité au Sénat, ce qui leur simplifierait grandement la tâche dans l’exercice du pouvoir.

 

- Comment expliquez-vous l’engouement du monde entier et des réseaux sociaux français pour l’élection présidentielle américaine ?

Vous parlez d’engouement, et en effet : j’ai remarqué que le public était de plus en plus éduqué sur ce sujet et même sur des questions a priori techniques. Depuis l’élection d’Obama, un intérêt réel pour ce moment de la vie des Etats-Unis s’affirme et grandit. L’information est plus fine, grâce aux réseaux sociaux où l’on croise pas mal de gens très intéressants, mais aussi grâce à la presse américaine qui en investissant le créneau des datas, a accru son niveau d’expertise et diffusé une information plus pédagogique et détaillée.  

Mais cet engouement est plus profond et cette projection de l’Amérique rêvée dont on a parlé, est une sorte de série « réelle ». Qui a besoin de la fiction quand on vit une réalité comme la nôtre ? Le scénario de cette élection semble écrit tour à tour par Aaron Sorkin, King ou Lynch, et parfois par les frères Coen. Il y a aujourd’hui une très forte attraction pour le monde de la série, qu’on « binge » à l’envie, et qui fait partie du soft power américain : l’intrigue de cette élection en respecte la grammaire.

L’Amérique reste rêvée même quand son président est Trump, car elle reste intemporelle. L’image du président des Etats-Unis s’est détériorée sous le mandat de Trump, mais pas l’image du pays. Prenez le cas cliché d’un bobo parisien, il déteste Trump mais continue d’aller dans l’Amérique bleue qu’il continue de chérir. La production culturelle, qu’elle soit littéraire, musicale, cinématographique, continue de faire florès. L’Amérique telle qu’on la rêve ne se réduit pas à son président.

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

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