S’il n’avait pas reçu le Goncourt pour Le Soleil des Scorta en 2004, il faudrait lui donner : Pour seul cortège (Actes Sud), le nouveau roman de Laurent Gaudé, est somptueux. Certes, le sujet, l’agonie d’Alexandre le Grand, se prête à la grandeur. Mais il fallait toute l’économie et le lyrisme retenu de l’auteur pour en faire une ode à la littérature.
Tout commence à Babylone, au cœur d’une fête. Alexandre danse, boit, ripaille comme à son habitude. Il a trente-trois ans et il va mourir quelques jours plus tard, à la suite des douleurs qui le prennent au ventre ce soir-là. Dans le même temps, une femme qu’il a connue et qui le redoute, recluse avec son bébé dans un monastère, voit arriver ceux qui doivent l’emmener au chevet d’Alexandre. Un troisième personnage achève de tresser l’histoire, Ericléops, fidèle et valeureux comparse qu’Alexandre a envoyé aux confins des Indes à Pâtalipoutra, donner un message de la part de l’Empire qu’il incarne. Ericléops vient rejoindre Alexandre, cet homme « qui ne sait pas mourir », dans son dernier voyage vers Memphis où il sera enterré. Il vient aussi lui permettre de mettre en actes son désir ultime, par-delà la vie et la mort. Comme si des motets rythmaient la lecture, l’histoire progresse vers la fin d’Alexandre, une fin bouleversante, magnifique et inattendue.
Depuis La Porte des enfers, Laurent Gaudé a abattu le mur qui sépare les vivants des morts et sublimé la question du deuil et de la disparition. Pas de pathos dans Pour seul cortège : la tension narrative, l’exigence d’un style ample mais épuré ne le permettent pas. Dans ses romans ou ses pièces de théâtre, Laurent Gaudé emmène doucement le lecteur dans un humanisme généreux et inspiré. Son nouveau roman contribue à construire une œuvre littéraire qui tutoie le sacré à travers l’acceptation du destin au-delà des déchirements, la transfiguration de la mort dans une pitié universelle, la force de l’âme et la quête absolue du sens de la vie humaine.
Karine Papillaud
Pour seul cortège, Laurent Gaudé, Actes Sud, (2012)