
La littérature bolivienne ? Un monde encore inexploré de ce côté-ci de l’Atlantique. Pas de Borgès ou de Vargas Llosa auxquels se raccrocher, sauf peut-être pour les hispanophiles très avertis : un texte d’Edmundo Paz Soldan, « Los Vivos y Los Muertos » (2008), fut justement présenté à l’agrégation d’espagnol en 2008. Ce n’était pas qu’une simple fantaisie des examinateurs, car cet auteur vif représente la nouvelle vague bolivienne qui commence à recevoir un certain écho à l’étranger.
Professeur de littérature sud-américaine à New York, lauréat du prix Juan Rulfo en 1997 (le « Goncourt » d’Amérique latine), traducteur de Shakespeare en espagnol, affilié un temps au mouvement « McOndo », qui prône une sorte d’hyperréalisme en réaction au « réalisme magique » de Garcia Marquez et Cortazar, il concentre une certaine idée de la littérature hispanique contemporaine. « Placer l’individu dans un contexte socio-politique plus large », tout en démêlant les relations entre l’Amérique du Nord et du Sud, comme il le définit lui-même dans une dizaine de romans et de contes. Norte, initialement paru en 2011 et présenté cet automne chez Gallimard dans l’excellente collection Du monde entier, est son premier ouvrage traduit en français.
Après avoir étudié pendant longtemps les nouvelles technologies, via notamment la figure du hacker dans El Delirio de Turing (en 2003), Edmundo Paz Soldan s’intéresse dans Norte à la violence et aux diverses altérations de la conscience que l’on peut rencontrer aux Etats-Unis, son pays d’accueil depuis une trentaine d’années. A travers trois destins parallèles, un tueur en série, un universitaire argentin et un peintre mexicain jamais loin de l’internement, il pousse vers les limites l’exploration du quotidien difficile de la communauté hispanique émigrée au « Nord »... De la science-fiction à la sombre étude sociale, l’auteur marche dans les pas de J.G. Ballard, l’écrivain britannique dont il reconnaît volontiers l’influence sur son œuvre...
Timothée Barrière