
« Déflagration littéraire », « souffle nouveau » : quand Maylis de Kerangal publia « Naissance d’un pont » en 2010, la critique littéraire n’avait pas de mots plus tendres pour décrire l’avènement d’une auteure atypique, déjà bien implantée dans le monde de l’édition.
Fondatrice des éditions du Baron Perché, contributrice un temps à la revue « Inculte » aux côtés de Mathias Énard (« Zone »), celle qui avait commencé sa carrière de romancière en 2000 avec « Je marche sous un ciel de traîne » trouvait donc avec son roman étrange – car étranger aux canons habituels de la littérature – sa première consécration, le prix Médicis, attribuée avec les honneurs au premier tour.
Les jurés, mais aussi les lecteurs, près de 100 000, ont été charmés par cette écriture si particulière, qui n’hésite pas à brouiller les rythmes, les phrases s’étirant et se raccourcissant à l’excès, nourrie de poésie, de technique, d’humanité, d’oralité. Toute une verve neuve que l’on retrouve dans son dernier roman, « Réparer les vivants », où, après le chantier autoroutier ou le train oriental (« Tangente vers l’est », en 2012), elle se plonge à nouveau à sa manière dans la réalité la plus crue : celle d’une transplantation cardiaque à l’hôpital.
Un récit resserré sur une journée, mais éclatée en histoires parallèles, du héros déjà mort (Simon Limbres), du coordinateur des greffes (Thomas Rémige), de la receveuse (Claire Méjean, atteinte de myocardie). Comme toujours chez Maylis de Kerangal, le roman se dévore à toute vitesse, tout en déployant plusieurs niveaux de lecture : il y a l’urgence documentaire d’un récit qui file d’un hôpital du Havre jusqu’à Paris, parfaitement documenté – l’auteure a d’ailleurs assisté à une véritable greffe à l’hôpital de la Salpêtrière, le questionnement philosophique sur le deuil et la définition de la mort, la poésie de la vie, l’héroïsme plus ou moins volontaire.
Un grand roman, dégagé de tous les artifices courants de la littérature contemporaine, qui la pose définitivement comme une écrivaine à suivre et qui lui vaut une nouvelle sélection à une distinction littéraire : le Grand Prix RTL/Lire.
« Réparer les vivants » de Maylis de Kerangal, éd. Verticales.