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Portrait de Jérôme Ferrari, un talent de son temps

Prix Goncourt 2012

Portrait de Jérôme Ferrari, un talent de son temps

 

 
Lauréat du Prix Goncourt 2012 pour Le Sermon sur la chute de Rome, un texte court et dense. Jérôme Ferrari est l’un des talents littéraires les plus lumineux de son temps.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
On s’attendait à des débuts plus précoces, tant l’écriture semble une évidence pour Jérôme Ferrari. Mais c’est seulement en 2007, à 39 ans, que les choses sérieuses commencent pour ce professeur de philosophie, avec Dans le secret, un roman qu’il envoie à cinq éditeurs parisiens, avant qu’Actes Sud n’emporte sa signature sur le contrat. Ce n’était pas tout à fait sa première publication, un éditeur corse, Albiana, avait publié ses deux premiers livres. Et ce n’était pas vraiment un hasard.
Car Jérôme Ferrari est un Corse, ses origines familiales se nichent dans un village à côté de Propriano. Le jeune homme, lui, a grandi en banlieue parisienne et sa passion pour l’île est née au rythme de ses vacances chez ses grands parents. Il apprend la langue, la maîtrise au point qu’il traduit cette rentrée, pour Actes Sud, un texte de son ami Marco Biancarelli, un Corse qui écrit en corse. 
 
Fureurs et unité
Jérôme Ferrari est né l’année de la grande révolution sociale française, en 1968. Peut-être faut-il y trouver la racine de son questionnement, porté sur la cohérence des univers humains, leurs cycles de vie, leurs lignes de faille, la guerre. Son univers à lui est cohérent, d’un livre à l’autre, dont Le Sermon sur la chute de Rome est assurément un apogée. Le roman raconte une formidable histoire d’amitié entre deux garçons pétris de rêves qui touchent du doigt leur idéal de fraternité. Une histoire belle et fragile, comme construite sur une ligne de faille, fragilisée par des flash back de la première guerre mondiale, une guerre qui, à sa manière terrifiante, a marqué la fin d’un monde et l’avènement d’un autre. Matthieu, un jeune homme, plaque tout pour mettre en œuvre son utopie. Son grand père qui pourtant le déteste, semble vouloir l’aider. Un comportement étrange qu’éclairent les allers et retours dans la vie de cet homme, parti pour faire la guerre, qui rate son rendez-vous avec la gloire et l’Histoire en consommant l’échec de la vie dans les colonies. 
 
Comme Matthieu, qui plaque ses études de philo à Paris pour exaucer le vœu de Leibniz, créer avec son ami Libero « le meilleur des mondes possibles », Ferrari aussi est parti très jeune rejoindre la Corse. Mais ce sera non pas pour ouvrir un bar mais pour y poursuivre ses études, s’installant dans l’île à la faveur d’un mémoire de sociologie puis d’un DEA de philosophie. Un temps, il est tenté par le nationalisme corse, mais se libère rapidement d’engagements qu’il jugera conformistes : « Je pense d’ailleurs que la pérennité du nationalisme corse, du moins dans sa mouvance armée, tient à une mythologie d’autant plus puissante qu’elle est excessivement bête », expliquait-il en août dernier au Monde des Livres. Il abandonne son poste de journaliste de terrain dans un journal local et enseigne, d’abord en Corse, puis à Alger dans un lycée international, de 2003 à 2007. 
 
Retour en Corse, en même temps que sa première publication chez Actes Sud qui obtient un succès très modeste. Pas mieux pour le deuxième, Balco Atlantico en 2008, totalement boudé par la critique. Enfin, le troisième roman, Un Dieu, un animal donne la direction, toujours ascendante désormais, à la réception de son œuvre. Jérôme Ferrari publie à une allure de métronome, et il a raison de ne pas lâcher car c’est l’année suivante que le quatrième roman, Où j’ai laissé mon âme, s’envole à 30 000 exemplaires avec une presse conquise pour de bon. 
Cette année, Le Sermon sur la chute de Rome domine la rentrée, avec quelques rares romans : « Ce que je tente dans le Sermon, c’est de donner une réponse de roman à la question « qu’est-ce qu’un monde ?, confiait-il au journal La Vie en septembre. Le roman fonctionne selon une cohérence mécanique, une logique de cycles. C’est une mécanique aveugle, qui broie ». La lecture de Saint Augustin, et en particulier l’un des sermons écrits en 410 sur la vulnérabilité des royaumes terrestres, est à l’origine du roman. Jérôme Ferrari ne fait pas de psychologie, plutôt de la métaphysique assouplie, domestiquée par le roman qui l’incarne et la rend audible. Dans le secret de sa bibliothèque, des œuvres révèlent l’écrivain, comme celles de Léon Bloy ou Thomas Bernhardt, Tolstoï, Savinkov. Mais surtout Dostoïevski qu’il découvre pendant son service militaire et dont il reste un lecteur ébloui. Un livre, aussi, a changé sa manière d’écrire, Malacarne de Giosuè Calaciura. L’auteur, actuellement en poste au lycée français d’Abu Dhabi, était à Paris cet automne, il est repartit avec le Prix Goncourt.
 
Karine Papillaud
 

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