
Le romancier britannique détourne à nouveau les codes de l’écriture dans « Parapluie », son dernier roman, l’un des plus aboutis, autour d’une fascinante expérience psychiatrique.
L’écriture ? « Une pulsion incontrôlable qui donne sens à ma vie »
Il y a une anecdote que les admirateurs (et les détracteurs !) de Will Self répètent à l’envi pour décrire le personnage, incongruité du paysage littéraire britannique : en 1997, promis à une grande carrière journalistique, Will Self fut pris en train de consommer de l’héroïne... dans l'avion du Premier ministre John Major. Licencié de la BBC, il n’eut d’autre choix que de se lancer dans l’écriture. À cette histoire avérée, on pourrait rajouter une anecdote pour démontrer l’absurdité de cet auteur déjanté, disciple de J.G. Ballard : en 2008, Will Self remporta le Wodehouse prize, qui récompense le meilleur ouvrage comique édité au Royaume-Uni. Où est le sens de la vie, alors, chez Will Self, aujourd’hui débarrassé de toutes ses addictions ? Dans l’écriture, donc, qu’il décrivait dans un entretien à « Télérama » comme « une pulsion incontrôlable, qui donne sens à [sa] vie. ».
« La Théorie quantitative de la démence »
C’est dans « La Théorie quantitative de la démence », recueil de nouvelles d’anticipation sociale paru en 1991, que Will Self développe tous les thèmes qui vont irriguer son travail. « Et s’il n’y avait qu’une quantité donnée de santé mentale dans une société donnée à un moment donné ? », s’interroge le narrateur de l’une des nouvelles, point de départ d’une série de situations incongrues, mais toujours décrites avec un sérieux apparent. La quinzaine de romans qui suivront développeront ce goût pour la satire sociale. Dans « Le Livre de Dave », en 2006, il imagine ainsi le destin du journal intime d'un chauffeur de taxi, devenu plusieurs centaines d’années plus tard le livre saint d’une communauté ayant survécu à l’Apocalypse. Quelque part entre Kafka et les Monty Python, « No Smoking » (2009) suit un personnage ayant décidé d’abandonner la cigarette. Hélas, en jetant par la fenêtre son dernier mégot, il se retrouvera embarqué dans un tourbillon judiciaire, reflet des injonctions morales de nos sociétés contemporaines.
Surréalisme psychédélique
Dans son dernier roman, « Parapluie », l’écrivain renoue avec une certaine idée de la folie. Le Dr Zachary Busner cherche à réveiller une patiente plongée dans un état catatonique depuis 50 ans grâce à une drogue, la LEA, dérivé du LSD. Tiré d'une histoire vraie, déjà racontée par le psychiatre Olivier Sacks dans « L’Éveil » (paru en 1974 et adapté au cinéma en 1990 avec Robert de Niro), « Parapluie » voit Will Self déployer tout son talent d’écriture pour faire éclater les codes de l'écriture sur le mode du surréalisme psychédélique. Ni paragraphe, ni chapitre ne rythment la lecture, alors que les pensées des narrateurs s’entremêlent au récit pur. Autant dire que « Parapluie » déroute. Il faut s’accrocher, mais la récompense intellectuelle est inestimable.
Question : « Et vous, quel est votre roman préféré de Will Self ? »
Timothée Barrière