
Anton Valens, qui a étudié les beaux-arts, met beaucoup de lui-même dans ce deuxième roman, Poisson, comme il l'avait fait dans son premier, Homme de ménage, salué par la critique et qui donnait déjà la parole à un artiste-peintre au chômage. Son écriture est comme une peinture où couleurs tendres et crues jouent du contraste et dessinent avec délicatesse les contours de vies accidentées.
Peintre maudit au chômage en panne d'inspiration…et surtout d'argent, un étudiant accepte de passer huit jours sur le bateau de pêche du père de son ami Fred, le DH731.
Par un beau matin de juin, il embarque donc sur le chalutier du capitaine Warmgeffer, qui "remplissait excellemment sa fonction sur la passerelle de commandement, et pourtant personne n'était heureux à bord".
Cap est mis sur la "baie Allemande, une zone où à cette saison, on pouvait réaliser de bonnes pêches".
Le peintre découvre la mer "calme, paisible, chaque ride à la surface de l'eau semblait avoir été visitée et posée là avec délicatesse.", mais aussi la vie à bord, le travail manuel et les petites et grandes haines : "À la moindre occasion Fred essayait d'humilier et de tourmenter Addie. Avec une cruauté puérile, il imaginait mille et une formes de torture pour pourrir la vie de son collègue matelot."
Et celui qui s'essaye matelot-pêcheur apprend à éviscérer, étriper, trier les poissons… tandis que son regard d'artiste découvre que "la mer houleuse, d'un gris de sac-poubelle, ressemblait à un édredon en velours."
À bord promiscuité et cohabitation exacerbent la rudesse, l'autorité, l'égoïsme et l'injustice au fil d'une semaine rythmée par les remontées des filets de poisson, les repas faits de paupiettes de porcs et les bribes de nuits où odeurs des embruns et effluves de gazole mènent un rude combat.
Et tandis que l'urgence de la pêche contraste avec la contemplative mélancolie du narrateur, qui voit se peindre le tableau d'une mer telle qu'il ne l'a jamais vue, un drame ! Un mort à bord.
L'écriture lancinante, comme le roulis de l'océan, transforme le lecteur en un matelot docile, réveillé à la faveur d'une vague narrative plus violente… qui éclabousse et réveille.
Car sur le rafiot où parfois un minuscule crabe réveille l'humanité qui sommeille en l'homme, il ne se passe rien…ou presque, car ainsi que le déplore le narrateur : "la vie spirituelle à bord du DH731 se trouvait dans un constant état de marée basse."
Agathe Bozon
Poisson, Anton Valens, Actes Sud, (2014)