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Numéro zéro d'Umberto Eco

10/10 pour le Numéro Zéro d’Eco

Numéro zéro d'Umberto Eco

Si l’on vous dit Umberto Eco, quel nom de livre vous vient immédiatement en tête ? Le Nom de la Rose, bingo ! Il va falloir penser à s’en remettre, l’ouvrage remonte à 1982 pour la traduction française, mais cinq romans plus tard, Umberto Eco reste le papa de Guillaume de Baskerville.

Son septième roman a-t-il l’ambition de faire oublier ce mémorable premier roman ? Numéro zéro (Grasset) ne joue pas dans la même cour, mais s’il sonne comme un brouillon par le titre, il n’en est pas moins un petit brûlot bien senti, qui poursuit le lecteur longtemps après avoir rejoint l’étagère de la bibliothèque.
 

 

 

 

La vraie fausse aventure des rotatives
On remonte le temps pour l’année 1992 à Milan. Une poignée de journalistes sont embauchés pour créer un nouveau quotidien,Domani, qui devra se consacrer à la recherche de la vérité. C’est en tout cas ainsi qu’on présente les choses à Colonna, l’un de ces braves bras cassés, écrivaillon à ses heures, à qui le directeur de la rédaction demande en plus d’écrire le roman d’une aventure éditoriale qui, disons-le carrément, ne verra jamais le jour. En réalité, l’actionnaire à l’initiative de ce projet ne cherche qu’à se créer les moyens et le pouvoir de salir et calomnier ses ennemis. Mais Colonna, quant à lui, devra édifier une légende plus glamour. Coincé entre sa mission et son attirance pour l’une des collaboratrices qui a la moitié de son âge, il est troublé par les révélations d’un confrère totalement paranoïaque, Braggadocio qui enquête sur la vraie fausse mort de Mussolini à la fin de la guerre.
 
Emotion, opinion, intoxication
Avec une gourmandise contagieuse, Umberto Eco démonte les rouages de ce qu’il appelle la « mauvaise presse », celle des scandales, mais dont les pratiques sont enclines à se développer façon tache d’huile, avec souvent les meilleures intentions du monde. Le rédacteur en chef de Domani est persuadé que les journaux doivent dire aux gens ce qu’ils doivent penser. Et s’il faut pour cela juxtaposer la rumeur aux faits, en comptant sur la porosité troublante de la syntaxe, allons-y sans vergogne ! La démonstration, dans le texte, est un acmé du livre. A l’époque où il choisit de placer son histoire, le sémiologue Eco est sur le point de publier Comment voyager avec un saumon, un recueil de textes drôles et de pastiches qu’il écrivait alors pour la presse.

Dans ce retour en miroir à la fin du XXe siècle, il raconte comment l’outil démocratique qu’est la presse peut se transformer en outil d’intoxication massive de la pensée. Qui croire ? Comment penser ? Et au bout de la question, qu’en faire ? Il n’a pas choisi 1992 pour rien, l’époque qui précède l’arrivée massive d’internet,  celle aussi où le juge Falcone est assassiné (mai 1992) et où l’existence du réseau italien Gladio est reconnue publiquement par le premier ministre italien Giulio Andreotti (octobre 1990).
                    
« Croire » en l’information
Le cœur du roman s’épanouit avec la révélation de cette phalange des stay behind, cellules de surveillances dispatchées dans les pays européens dans l’immédiat après guerre, et que l’Otan a mis en place. Ca, c’est pour le versant historique. Mais on comprend bien ce que cette révélation d’un réseau d’espionnage peut receler comme ressources pour de multiples théories du complot. Car voilà : où est le faux, où est le vrai ? Dans Construire l’ennemi, Umberto Eco s'interrogeait sur la nécessité pour les sociétés modernes de se définir par rapport à un adversaire.

Dans Numéro Zéro, ses personnages prennent le parti de la passivité. Umberto Eco n’offre pas de perspective optimiste dans ce livre. La littérature n’a de fonction qu’en bousculant la marche tranquille de nos acquis et cela se traduit rarement par un happy end. On n’apprend rien de nouveau qu’on ne sache déjà dans ce roman, si ce n’est que l’expérience du trouble face à l’information, la question du complot à laquelle on se verrait volontiers adhérer et le recul face au bruit du monde font de sa lecture une expérience … citoyenne.

Karine Papillaud

 

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