
« Loriot », « Loriot », c’est un nom qui en rappelle un autre, celui du Père Goriot et ce n’est évidemment pas un hasard : dans ce deuxième roman après Le Coursier de Valenciennes en 2012, Clélia Anfray raconte la petite bourgeoisie de la fin des années 80 à travers le portrait d’un patriarche, père autoritaire et définitif de trois jeunes femmes plus ou moins épanouies et de trois petites-filles curieuses. Un roman qui vient de recevoir le prix “L’île aux Livres/La Petite Cour”, décerné par un jury de critiques littéraires.
En peu de mots, se dessine le visage d’un homme qui semble désespérément sans surprise : retraité de la SNCF et maniaque, admirateur de Jacques Chirac et de l’Amérique, il est un fidèle téléspectateur de Dallas et de Santa Barbara qui commence à cette époque une très longue diffusion télévisuelle. Tout une époque ! La télévision, forcément, est le meuble incontournable de la maison qui fonctionne au tempo des séries qu’elle propose.
Mais Raymond Loriot n’aime pas les Noirs, ni les socialistes, ni la série Châteauvallon que préfère sa femme, un personnage écrasé qui peine à exister dans les yeux de ce drôle de bonhomme. Et puis, il cultive aussi un drôle de jardin secret dans une pièce de la maison désormais interdite. Derrière la façade un peu clichée se laisse vite apercevoir un homme plus complexe, labouré sous le masque par l’envie de vivre sa vie, pour de bon, quitte à tout laisser pour partir revivre un grand amour en Amérique.
Clélia Anfray a une manière fine et sans heurts de s’approcher de son personnage principal, en écho des regards portés par ses filles et petites filles. On s’y attache à ce Monsieur Loriot qui devient bouleversant au fur et à mesure que le livre avance, lui, en légèreté tendre. Et pourtant, c’est bien le même tyran domestique du début que l’auteur déroule au gré d’une langue apparemment sage mais saisissante, précise et piquée de détails. L’auteur remonte le lien filial pour écorcer mieux son personnage et parvient ainsi à donner la vérité d’un homme, de la banalité à la folie, avec l’effronterie d’une romancière qui n’en est pourtant qu’à son deuxième roman.
Karine Papillaud
Clélia Anfray© C. Hélie/Gallimard