La rentrée littéraire 2010 a été un cru bourgeois, sans génie mais avec des valeurs sûres. Les Prix d’automne, comme le Goncourt et le Renaudot, n’ont pas suscité la polémique cette année, mais choisi des livres qui s’imposaient.
Il le voulait, il l’a eu : Michel Houellebecq reçoit le Goncourt 2010 pour La Carte et le territoire (Flammarion), douze ans après l’occasion manquée des Particules élémentaires et cinq ans après le raté de La Possibilité d’une île (Fayard). « Son meilleur livre », déclare le porte-parole du Goncourt, Didier Decoin, à l’armée de journalistes et cameramen venus l’interviewer juste après l’annonce. Sept des jurés auraient voté pour Houellebecq.
On sait que Tahar Ben Jelloun, qui avait descendu le roman dans la presse italienne au moment de la rentrée littéraire, fait partie des deux récalcitrants. Françoise Mallet-Joris aurait, elle aussi, résisté jusqu’au bout à l’évidence. Le Tout-Paris littéraire bruissait depuis juin en faveur de Houellebecq, un des rares écrivains français connu un peu partout dans le monde. « Si ce n’est pas Houellebecq, je plains le lauréat », glissait un éditeur dans les couloirs du restaurant Le Drouant, où le prix est remis chaque année.
C’est la première fois depuis trente ans que Flammarion obtient le Prix Goncourt. Habituellement, il est attribué à Gallimard, Grasset, Seuil ou Albin Michel, voire aux petites maisons d’éditions que les gros éditeurs distribuent. Teresa Cremisi, PDG du Groupe Flammarion, mais qui fut aussi longtemps la « Madame Prix littéraires » de Gallimard, se défend d’avoir mis en place une politique de prix.
Aucun des jurés Goncourt ne publie d’ailleurs ses livres chez Flammarion. Il y a donc eu un véritable effet Houellebecq. Vendu déjà à 200 000 exemplaires, son roman La Carte et le territoire pourrait s’écouler à 500 000 ventes, grâce au Goncourt.
Les fantaisies du Renaudot
Juste à côté de la petite salle où les jurés du Goncourt déjeunaient, le jury Renaudot a lui aussi délibéré. Il aura d’abord fallu braver quelques problèmes techniques pour parvenir à « skyper » en direct avec JMG Le Clézio, Prix Nobel de littérature, mais également membre du jury, qui participait aux délibérations depuis Albuquerque au Nouveau-Mexique.
Onze tours laborieux ont été nécessaires pour finalement remettre le prix à Apocalypse bébé (Grasset) de Virginie Despentes. Simonetta Greggio et sa Dolce Vita (Stock) sont passées à une voix du trophée. « Il n’était pas question que Stock l’obtienne, réplique un membre du jury qui restera anonyme : ils ont eu le Prix de l’Académie française pour Eric Faye et le Fémina étranger pour Sofi Oksanen, ça suffisait comme ça ».
Iconoclaste jusqu’au bout et à la surprise de tous, le jury du Renaudot avait même ajouté sur ses listes Marc-Edouard Nabe, qui auto-édite son roman L’Homme qui arrêta d’écrire, sur proposition de Franz-Olivier Giesbert et avec le soutien de Patrick Besson.
La morale de l’histoire
Houellebecq et Despentes consacrés par les grands prix littéraires la même année, voilà qui ne manque pas de sel : tous deux sont de purs produits des années 1990 et ont publié leur premier roman à peu près en même temps : Baise-moi en 1993 pour l’une, Extension du domaine de la lutte en 1994 pour l’autre.
« Ils appartiennent tous deux à une génération noire et désespérante », remarque Patrick Rambaud, juré Goncourt. Les deux rebelles rentreraient-ils dans le rang ? Ces prix sont-ils une consécration ou la mise à mort de deux regards considérés comme sulfureux, sanctifiés désormais par l’institution ? On cherchera la réponse dans leurs prochains livres.
Karine Papillaud