
Goncourt, Renaudot, Femina, Médicis et les autres : ils fleurissent par centaines à l’automne. Les prix sont indissociables de la vie littéraire française, pour le meilleur et pour le pire.
Décryptage.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi il y avait une « rentrée littéraire » en septembre ? Pourquoi les éditeurs sortaient l’essentiel de leur production annuelle sur une si courte période ?
La réponse est simple : la rentrée précède la saison des prix, qui elle-même anticipe celle des fêtes, où l’on offre des livres. Les prix existent aussi à l’étranger, mais aucun pays n’en compte autant que la France. On en dénombre des milliers. Derrière les grands prix, une foultitude de récompenses mineures sont décernées par des magazines, des médiathèques et des associations à travers tout le pays.
L’intérêt et l’emballement médiatique autour de la compétition d’automne sont sans comparaison. Quasiment un sport national. « Cet enthousiasme est en partie dû au fait que les journalistes sont intégrés au jeu littéraire, car ils écrivent des livres et font partie des jurys. D’ailleurs, il y a même des prix, comme l’Interallié, qui ne récompensent que les journalistes. C’est un entre-soi germanopratin, qui crée un marronnier supplémentaire dans la presse », analyse François Perrin, critique littéraire œuvrant notamment pour l’émission « Ce soir ou jamais » sur France 3 et le magazine « Standard ».
L’espoir de décrocher un prix détermine les stratégies éditoriales. Et pour cause : une récompense reconnue garantit presque mécaniquement un succès de librairie. Si le plus fameux d’entre eux, le Goncourt, n’est doté que de 10 petits euros pour le lauréat, l’exposition et le prestige associés s’annoncent synonymes de jackpot. Selon une étude de GfK, les plus influents en termes de vente sont le Goncourt (380 000 ventes en moyenne), le Renaudot (220 000), puis le Femina (155 000). L’enjeu économique étant considérable, les prix sont souvent l’objet de petites manœuvres et de grandes tractations. Pressions amicales et renvois d’ascenseurs : c’était le sujet de l’ouvrage de Guy Konopnicki paru en 2004, Prix littéraires : la grande magouille.
Chaque année, les célèbres maisons (Gallimard, Grasset, Le Seuil et Albin Michel) trustent la majorité des prix, au détriment des moins influentes. Les arrangements sont un secret de polichinelle. Mais ils jettent une ombre sur la crédibilité des distinctions, qui, parfois, sombrent dans le ridicule. Sans remonter jusqu’à Céline, dont Voyage au bout de la nuit fut écarté du Goncourt en 1932 au profit d’un Guy Mazeline sombré dans l’oubli, on se souvient qu’en 1998 Les particules élémentaires, chef-d’œuvre de Michel Houellebecq, avait échoué face à « Confidence pour confidence » de l’anonyme Paule Constant.
Les grands prix ont une fonction de validation. Ce ne sont pas franchement des découvreurs de talents. Ils couronnent des livres déjà adoubés par le système, continue François Perrin. Aussi, si l’on veut faire preuve d’audace au moment de choisir le livre que l’on offrira à tante Jeanine pour Noël, on peut se tourner vers d’autres prescripteurs. Comme les récompenses décernées par les lecteurs, moins corrompus par essence, tels le prix des lectrices du magazine « Elle » ou le Festival du premier roman de Chambéry, entre autres. Autre option, simple et efficace : demandez conseil à son libraire préféré.
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Photo : Michel Houellebecq©Kokoju/Shutterstock.com