
Enfant de la balle, Galatée Reuter a posé ses chaussures de danse le temps d’écrire un magnifique premier roman, Les Liens invisibles (ed du Vistemboir), qui tisse de secrets liens avec la poésie.
D’extérieur, c’est une famille très unie, et de plus près elle l’est aussi : Benoît et Lisa sont de jeunes quadragénaires heureux en couple, et parents de deux enfants qui vont bien, Julien et Bénédicte.
Jusqu’ici rien qui ne prête au roman. Mais Benoît est hanté par d’inextinguibles élans. Le goût pour l’aventure ne l’a pas quitté depuis sa jeunesse, vitrifié qu’il est dans sa vie d’époux, père de famille et comptable dans une petite ville. Il y a renoncé dans l’urgence du bonheur conjugal, mais voilà : un jour de 1987, il part se jeter à la mer. Deux mois plus tard, il émerge dans la maison d’un inconnu au contact rugueux, qui s’appelle Jacques, mais qui lui devient rapidement nécessaire, sans qu’il comprenne bien pourquoi. Son départ au Québec avec lui n’est que le début d’une formidable bourlingue qui dure des années et qu’il mènera sous le nom de Mathieu.
Impossible d’en dire plus sans trahir le formidable retournement de la fin du livre. L’idée de Galatée Reuter est non seulement géniale mais bouleversante d’humanité et de poésie. Doucement, elle amène le lecteur à partir d’une situation réaliste et sans caricature : celle d’un couple qui va bien mais dont l’un des membres n’arrive pas à faire le deuil de ses rêves d’adolescence. On peut être heureux et inachevé, mais combien de temps peut-on enfouir ce que l’on est profondément au profit d’un bonheur présent ? Cependant, un rêve n’est-il justement pas destiné à ne jamais s’accomplir ? Les questions que se pose Benoît, l’auteur les épargne au lecteur : elle s’attache aux pas de la transformation d’un homme, et fait tournoyer le lecteur dans la fugue de son personnage principal, jusqu’à l’éblouissement final.
Les Liens invisibles posent la question de ce que signifie vivre sa vie et accomplir ses rêves. Il y a, aussi, quelque chose d’une parabole pleine de grâce sur l’écriture et le rapport entre fiction et réalité. Quelque chose aussi, dans le personnage de Benoît, qui le hausse à la stature d’un personnage de tragédie, dans une sorte de long poème en prose. Un texte court, niché au cœur de pages douces dans un livre réalisé comme artisanalement. Un petit bijou à lire et à offrir.
Karine Papillaud