
Née en 1968, Isabelle Desesquelles, libraire pendant plusieurs années à Toulouse, vient à l'écriture à trente-sept ans, quand dit-elle, "les livres des autres n’ont plus suffi". Les hommes meurent, les femmes vieillissement est son sixième roman.
L'Éden porte bien son nom. Un institut de beauté, petit coin de Paradis, où dix femmes d'une même famille viennent régulièrement se confier aux mains expertes d'Alice. Toutes les générations se retrouvent à l'Éden sans jamais s'y croiser, de Lili, quatre-vingt-trois ans à Manon, apprentie esthéticienne anorexique.
S'invite aussi à l'Éden, le fantôme d'Éve. Il surgit dans l'intimité de la petite cabine de soin où les corps livrent leurs secrets, car "la bouche la plus scellée n'empêchera pas un corps de révéler ce que l'on a fait de lui, ce qu'il fait de nous."
Éve s'est suicidée et a laissé une lettre jamais parvenue à son destinataire, il y a une quinzaine d'années et sa disparition prématurée hante ses mère, fils, sœur, tante ou cousine. Il y a celles qui l'ont connue et celles qui étaient si jeunes au moment du drame qu'elles n'ont pas de souvenirs d'elle.
Le roman se construit comme une galerie de portraits qui se feraient échos et dont l'image kaléidoscopique construit peu à peu l'histoire d'une famille.
Chaque chapitre s'ouvre sur la description qu'Alice fait du personnage qui va prendre la parole. Une description qui, mariant pragmatisme et fantaisie, détails importants ou totalement sans intérêt, révèle la complexité des personnalités. "Caroline, cinquante-neuf ans, un châtain terne avec une mèche blonde qui devrait tout changer, écoute encore Véronique Sanson. (…) creuse deux petits trous dans le sable pour ses seins avant de s'allonger sur la plage, ne fume pas, ne boit pas de café mais fait trois détartrages par an".
Au fil des chapitres, les relations familiales se dévoilent et les douleurs personnelles s'écrivent et se décrivent : "Le jour de l'enterrement de sa mère (Éve), Nicolas s'est fendu le crâne sur l'arête du caveau. Quelle idée aussi de vouloir regarder dedans. Je le surprends souvent à toucher sa cicatrice sur son cuir chevelu, sa blessure, ce qu'il a gardé de sa maman ".
Ce court roman se lit avec légèreté, quoiqu'il aborde des questions graves et analyse le pourquoi des relations complexes, d'une drôle de famille qui a remplacé le divan du psychiatre par la table d'Alice, la jolie esthéticienne au corps parfait à laquelle "on confie sa peau, son moral, on ne dissimule rien, de toute façon elle devine tout."
Agathe Bozon
Photo DDM, Xavier de Fenoyl